Nous sommes en 1986. Paris voit défilier les manifestations étudiantes. Au milieu de cette agitation, Arnaud tente de réaliser un documentaire-hommage sur son père spirituel dont il vient d'hériter. C'est Werner qui l'a initié au cinéma; ils pouvaient en parler pendant des heures : Casque d'Or, la Grande Évasion, la Marseillaise ou encore les films de John Ford.... Mais les faits et gestes d'Arnaud sont étroitement surveillés depuis la mort de son ami.
L'agent Comedia, ayant tué Werner avant d'avoir la réponse qu'il attend depuis trente ans, est persuadé que ce dernier s'est confié à Arnaud avant de mourir.

Attention, bien que ce roman soit publié dans la collection "Folio Policier", le récit s'apparente plutôt au roman d'espionnage sur fond "historico-politique". En effet, ceux qui sont habitués aux romans de Jonquet, risque d'être déçu par le teneur de celui-ci. Par contre, une fois ce postulat établit, et si ce genre vous plaît, n'hésitez pas à découvrir cette part revisitée de notre histoire.
Entre mémoire individuelle et collective, Thierry Jonquet s'attarde sur trois des grands mouvements de masses qui ont secoué la France au 20ème siècle (1936, 1968 et 1986) et noue des parallèles. On suit Werner en France, Allemagne, Espagne et États-Unis d'avant guerre. Le rythme est volontairement lent, avec de perpétuels retours en arrière dans la narration.
Pour les besoins de la filature, tous les personnages sont affublés des noms des acteurs de la Commedia dell'arte : Comedia, Pantalone, Geronte, Matamore, Sganarelle etc... Et l'intrigue n'est qu'un acte d'une pièce qui n'est toujours pas finie aujourd'hui.
Je crois qu'ici ce n'est pas tant l'intrigue qui est importante que le processus de Mémoire et les enchevêtrements entre actions individuelles et événements politiques.

Du même auteur : Le bal des débris, La bête et la belle, Ad vitam aeternam, La vie de ma mère (le roman) et La vie de ma mère (la B.D.)

Extrait :

"- Oui, la première chose que je vis en arrivant ici, ce fut un accordéon, un bel accordéon à l'armature brillante, aux touches nacrées, et il reposait là, sur le trottoir, à proximité d'un tas de poubelles, devant la gare...
C'est la première chose que j'ai vue avec attention, avec acuité; le reste, le train, les gens sur le quai, au petit matin - des ouvriers, avec leur casquette, leur musette -, tout cela restait dans le flou. J'étais fatigué, meurtri par le voyage, mais l'accordéon, sur le trottoir, ça, c'était quelque chose. La preuve indéniable, en quelque sorte, que j'étais arrivé. Trop tard, assurément, puisque l'instrument, un bel instrument, pourtant, gisait à terre. Son soufflet était éventré, comme si on l'avait lacéré à coups de couteau, avec acharnement.
Là-bas, on m'avait raconté la fête, les bals, l'enthousiasme... et l'accordéon, bien entendu. Chez moi, il n'y avait pas d'accordéon, mais de petits orgues de Barbarie, que les musiciens installaient au coin des rues, et le premier que je vis en arrivant ici était blessé à mort, déchiré. Du pied, je le poussai, et il émit une plainte ridicule, un couinement obscène. Un instant, l'idée me prit de ne pas l'abandonner là, de l'emporter, pour le réparer, peut-être. Puis j'ai réalisé que je ne savais pas où j'allais et, sans aucun doute, un accordéon hors d'usage était bien le dernier objet dont je devais m'encombrer.
Voilà, c'est mon premier souvenir de Paris. J'avais trouvé l'accordéon, mais le bal était terminé, la fête était morte, j'arrivais trop tard, comprends-tu?"

comedia
Éditions Folio - 307 pages