Il est très rare qu'en introduction à mes critiques, je vous mette un extrait de quatrième de couverture. Mais, l'auteur ne m'a pas laissé le choix.
Dire que le sujet du livre m'intéressait et m'intriguait, serait un euphémisme. J'ai toujours été fascinée par les histoires de maisons qui ont une âme. Mais, avec toute la bonne volonté du monde, je n'ai pas pu dépasser la page 38 de ce roman.
Que Nuno Jùdice soit un poète portugais reconnu et célébré dans son pays, je veux bien. Que sa poésie soit chargée de lyrisme, d'humour et de notations quotidienne, soit. Mais dans ce cas là, pourquoi avoir écrit un roman ?
Il faut croire que cette forme ne lui convient absolument pas : l'écriture est absolument indigeste !
Je passe mes semaines à expliquer à mes élèves que créer des phrases trop longues avec trop de propositions subordonnées, rend la lecture fastidieuse... Mais Nuno Jùdice fait mieux qu'eux ! Il imbrique des propositions subordonnées relatives dans des subordonnées conjonctives, elles-mêmes dépendant de subordonnées complétives etc...
Vous ne comprenez rien à ce que je viens d'écrire ? Normal. Pourtant c'est ce que nous propose Nuno Jùdice dans son récit. Quand vous arrivez à la fin d'une phrase et que vous ne savez plus quel en était le propos, comment voulez-vous suivre le fil de la narration ? Et quand chaque phrase suit le même procédé, vous en arrivez à vous dire que vous avez jeté 13 euros par la fenêtre.
Vous pensez que j'exagère ? Voici donc deux extraits, soit deux phrases, parmi tant d'autres.
Laurence
Extraits :
"Le barbier apparaît de temps en temps sur le seuil de sa porte, attendant le client qui ne viendra pas, car l'hiver il vaut mieux avoir la tête protégée par les cheveux, quand on en a, bien que ce soit aussi en hiver que les épidémies de poux sont plus fréquentes, apportées par les bêtes errantes qui se réfugient dans l'embrasure des portes, mendient de la nourriture et sont chassés avec le manche à balai au milieu de la rue où elles forment des meutes qui se lancent dans la nuit dans des courses et font entendre l'écho de leurs hurlements entre les maisons."
"On peut dire que s'il est vrai qu'un rapport sexuel épisodique, lors d'une fête ou pendant le carnaval qui favorise les amours de passage, reste sans grande conséquence, même s'il laisse de grands souvenirs, en revanche les amours qui se prolongent créent des attentes qui deviennent impossible du fait même qu'elles l'étaient déjà au départ, sauf quand les amants cohabitaient dans la même maison, comme un patron et son employée, et qu'ils peuvent garder l'apparence de la distance sociale, bien que vivant comme mari et femme jusqu'à une âge où les contraintes de la société importent peu et alors, surtout s'il y a des enfants illégitimes, il finissent par officialiser la relation."
Éditions Métaillié - 142 pages
Commentaires
mercredi 22 mars 2006 à 11h18
Aïe aïe aïe, en effet les deux extraits que tu nous proposes sont vraiment pénibles à lire. Moi non plus je me vois mal terminer un livre écrit comme ça.
Mais juste un bémol : est ce que ce style lourd ne serait pas le fait de la traduction portugais -> français ? Qui soit a été mal réalisée, soit ne donne vraiment pas la même chose en français et alors là on pourrait mettre en cause la différence de structure entre les deux langues, rendant vraiment bizarre la traduction surtout lorsqu'il s'agit de poème...
Parce que je ne crois pas que les critères qui font un bon récit au Portugal soient si différents de la France. Si cet auteur est reconnu dans son pays ce n'est pas un hazard..
Ce serait intéressant qu'une personne parlant le portugais donne son avis sur la version originale de ce livre
mercredi 22 mars 2006 à 11h40
Salut Mathieu,
je me suis également posé la question. Mais "Trace d'ombre" n'est pas un recueil de poésies. Il s'agit d'un roman, le premier de l'auteur. Il n'était donc pas question ici de traduire de la poésie (tâche extrêmement difficile, voire impossible). Je pense que la traduction doit être relativement fidèle à l'original, les éditions du Métaillié faisant généralement du bon travail.
Nuno Jùdice est reconnu pour ses talents de poète, non pour ceux de romancier. Je pense qu'en passant à l'écriture plus narrative qu'exige le récit, il n'a pas réussi à insuffler le lyrisme que l'on peut retrouver sans doute dans ses textes poétiques. Poésie et narration sont deux choses totalement différentes, et ce n'est pas parce que l'on excelle dans l'une que l'on est forcément bon dans l'autre.
mercredi 11 juin 2008 à 17h00
Bonjour
Voici un avis différent sur "traces d'ombres". Je l'ai lu après avoir découvert la poésie à la fois narrative et intérieure de judice; et j'y ai trouvé à le lire autant de plaisir. Traces d'ombre est à mon goût un long poème en prose tout à fait réussi et dont la narration complexe engage davantage à poursuivre la lecture qu'à l'abandonner. Et d'ailleurs je n'ai pas même eu l'idée de me poser la question. Je crois que judice est poète sans interruption (et un des rares dont la réputation internationale me semble justifiée par la seule écriture), qu'il écrive un texte court ou bien un roman. Je trouve aux phrasés amples et parfaitement maîtrisé tels que ceux de judice, faulkner ou proust, une qualité d'émotion tout à fait efficace, qui nous permet des plongées merveilleuses dans l'imaginaire de l'autre.
mercredi 11 juin 2008 à 18h26
Bonjour Lionel,
Bien sûr, vous ne me ferez pas changer d'avis et ce roman reste pour moi l'une des plus grandes déceptions, voire incompréhension de ces trois dernières années. Honnêtement, vous trouvez que les extraits démontrent des phrases amples et parfaitement maîtrisées? 
merci de votre regard, certes très différent du mien, mais c'est cela justement qui est intéressant.
Mais comme je le disais, votre commentaire nuance mon billet et permettra peut-être à certains de passer le pas.