Au cours des 200 pages que compte ce récit, Sascha se confie à nous, il nous dit ses doutes, ses certitudes et ses fantasmes. Il est persuadé que Clémence est LA femme qui lui convient. Et peu importe que Clémence ne le sache pas.
Pour réussir à la séduire, Sascha imagine les scénarii les plus complexes : de l'ignorance à la passion il n'épargenra rien à la jeune femme.

En entamant le récit, je pensais que celui-ci s'attarderait sur l'acte de création. Mais Fabrice Bonardi passe sous silence presque tous les moments où son personnage se met à la peinture. Le noeud de l'intrigue est donc ailleurs.
Sans doute dans les méandres d'un esprit dérangé, totalement coupé de la réalité, qui rêve son existence plus qu'il ne la vit. Le style est simple et relativement fluide, et l'on sent l'urgence qui anime Sascha.
Mais, je n'ai pas réussi à apprécier ce roman, tant le personnage principal m'a tout de suite été antipathique. Cette intropection prolongée m'a rapidement paru indigeste : Sascha est incapable d'écouter ceux qui l'entourent. Il ne vit que pour lui et sa vision du monde. Il parle, pense, projette, espère, décide, soumet.... Dans cette logorrhée verbale, les autres n'ont aucune chance d'exister par eux-même. Sascha aime parler et s'entendre. Les nombreuses métaphores semées au fil des pages en sont un témoignage évident. Ceux qui le côtoient n'ont d'intérêt que pour les fantasmes qu'ils lui permettent d'échaffauder. Le personnage trouble du psy n'arrange rien à la situation.
J'aurai aimé au milieu de cet égocentrisme exacerbé avoir la vision de la pauvre Clémence, entendre la version d'un personnage sain d'esprit. Mais seuls les délires de Sascha ont droit de cité dans ce récit.
Il est difficile d'adhérer à une histoire quand son narrateur vous insupporte tant et que seules ses divagations vous sont accessibles.

Extrait :

Posée sur le canapé, elle est replongée dans sa lecture, et je m'applique à regarder ailleurs. On ne peut pas entrer n'importe comment en contact avec la femme que l'on aime : si on n'est pas aussitôt classé parmi les dragueurs et autres importuns, on aurait tôt fait de devenir un ami. Par inadvertance. C'est autre chose que je veux : trouver avec elle le sens du temps, tout mettre en oeuvre pour n'en rien laisser perdre. Quitte à lui paraître d'emblée désagréable. Grâce à cette stratégie, elle ne pourra faire autrement que me remarquer, n'attendra dès lors que le pire de ma part, et cherchera toujours à m'éviter. Elle n'y parviendra pas : je serai inévitable, et en plus j'apparaîtrai sous le meilleur jour. Même les qualités qui me manquent je les aurai acquise entre-temps.

Elle finira par se demander pourquoi haïr quelqu'un qui ne le mérite pas, et sera forcée de reconnaître que c'est incohérent; de fil en aiguille elle se demandera ce qu'elle éprouve vraiment. La distance entre nous sera ramenée à rien. En même temps, je m'efforce de repousser toute hypothèse contraire. Cela ne servirait à rien d'anticiper un échec, et de toute façon, cela ne suffirait pas à m'enpêcher de l'aimer.
Malgré ma feinte indifférence, je capte une distance de principe, des cheveux châtains tirés en arrière, et de discrètes boucles d'oreilles dorées. Tout cela me conforte dans mon opinion. Maintenant il reste juste assez de temps pour que Clémence, qui m'a vu sans me regarder, me distingue pour de bon. Souvent, les femmes vous jugent d'un coup d'oeil. Cette fois, je ne peux en rester là. Décrochant du mur [de la salle d'attente du psy] un des petits tableaux, je m'active autour de lui, et rectifie le gris du ciel, pour le moyer dans celui de la mer. La sensation d'étouffement qui s'en dégage est bientôt portée à son comble. Remballant ma trousse d'urgence, je remets le tableau en place, puis le jauge, en m'éloignant, la tête penchée en signe de satisfaction. Si Clémence n'est pas intriguée, il faudra vraiment que je me fasse soigner. Je perçois ses cheveux, qu'elle lâche, avant de les rattacher. Une sorte d'agitation quand je suis redevenu impassible.

l'ombre au tableau
Éditions L'Harmattan écritures - 204 pages