Car si nos enfants n'aiment pas lire, c'est sûrement que nous, adultes, y sommes pour quelques chose. Commence alors une remise en question de nos fonctions de parents et enseignants.
Les parents sont évidemment les premiers concernés. Ces parents qui n'admettent pas que leurs enfants ne trouvent pas une once de plaisir dans cet acte d'évasion, mais qui en même temps accumulent les discours contradictoires. Daniel Pennac remonte le fil du temps et se souvient avec délice de la prime enfance de son fils : ces instants passés au chevet des petites têtes blondes à leur raconter encore et encore la même histoire, à surprendre dur leur visage l'émerveillement des rencontres. Puis vient l'entrée à l'école primaire, passage ô combien charnières et "piégeux". Nous enfants découvrent la lecture et nous en profitons pour abandonner nos veillées. Nos enfants commencent à déchiffrer et nous nous concentrons sur la performance, oubliant la magie des moments partagés. Et le temps passe. L'enfant devient adolescent et le lien est rompu. Ma lecture n'est pour lui qu'une obligation, une contrainte sans plaisir.
Mais les professeurs ne sont pas épargnés. Enfermés dans leurs habitudes et leurs programmes, ils tentent tant bien que mal de transmettre un savoir en occultant le désir.
Enfin, Daniel Pennac nous rappelle quelques principes, quelques droits fondamentaux du lecteur. A priori, ceux-ci vont à l'encontre de tout ce que l'on nous a toujours dit sur la lecture : oui, nous avons le droit de ne pas lire, oui nous avons le droit de sauter des pages; oui nous avons le droit de lire n'importe quoi, n'importe où, de ne pas finir un livre et même de nous adonner au Bovarysme. Car ces principes ont une essence indispensable au plaisir : celle ne nous déculpabiliser. La lecture n'est pas un devoir mais un droit. Et lirait-on avec le même plaisir Victor Hugo, si quelques fois nous ne nous autorisions pas de sauter quelques descriptions? Et doit-on bouder son plaisir lorsqu'on lit des "romans de gare"? Et pourquoi n'accorderions-nous pas à nos adolescents ce que nous prenons à notre compte? Les laisser lire en diagonale certains passages, c'est leur donner accès à Zola, Hugo, Balzac et tant d'autres. Les laisser s'engouffrer dans les romans de "Buffy contre les vampires", c'est leur permettre de se réconcilier avec l'écrit et peut-être ensuite de découvrir d'autres romans fantastiques aux qualités narratives plus riches.
Dans cet essais, qui se lit effectivement "Comme un roman", point de leçons, de sentences magistrales nous accusant à tour de bras, mais une série d'anecdotes tendres, drôles et parfois mordantes. Sûrement parce qu'à aucun moment l'auteur ne se place au-dessus de la mêlée. Il est tour à tour l'enfant, le parent et le prof. Il ne dit jamais "vous" mais "nous" et s'englobe dans la difficulté. Oui, lui aussi a failli, lui aussi s'est trompé.
Cela fait dix ans que ce livre attend patiemment sur nos étagères que je daigne le choisir. En le lisant ce week-end, j'ai réalisé en fait qu'il s'était soigneusement dérobé à mon regard jusque-là. En effet, il y a quelques années, peut-être même seulement deux ans, je l'aurais lu en minaudant. En me disant que "moi", bien sûr, je ne ferai pas ainsi lorsque mon tour viendrait, lorsque nous aurions atteint avec notre fils ce moment charnière de l'apprentissage de la lecture. Mais le moment est venu et au fil des pages, je fus bien forcée de constater que je commençais à ressembler aux adultes décrits par Pennac.
Ce livre, je l'ai dévoré goulûment, sans sauter de pages, de lignes ou même de mots. Il est à la fois jubilatoire et sans appel. Eh oui, sous pretexte que nous aimons lire, nous pensons que cela est naturel et avons du mal à comprendre que tout le monde ne partage pas ce plaisir. Surtout quand ce sont nos propres enfants.
Avec beaucoup d'humour, Pennac pointe du doigt nos travers de parents ou d'enseignants, et met à mal les principes et les dogmes qui font au final tant de mal aux livres.
Merci Monsieur Pennac. J'ai découvert votre essais au moment où il le fallait : cet instant fragile où l'on ne peut plus se trouver d'excuses mais où il est encore temps de corriger la trajectoire. J'ai repris mes lectures à voix haute pour mon petit magicien, et nous découvrons soir après soir l'histoire de "Belle et Sébastien". La lumière dans les yeux du petit homme est la plus belle récompense.
Un livre salutaire à lire de toute urgence, si ce n'est déjà fait, surtout pour tous ceux qui aiment lire et qui ont des enfants. Nous sommes sûrement les premiers concernés, car finalement leurs pires ennemis.
Du même auteur : Le dictateur et le hammac, L'œil du loup, Merci ! et Chagrin d'école
Extrait :
"- Alors, qu'est-ce qui lui est arrivé au prince, hein? J'attends!
Ces parents qui jamais, jamais, quand ils lui lisaient un livre ne se souciaient de savoir s'il avait bien "compris" que la Belle dormait au bois parce qu'elle s'était piquée à la quenouille, et Blanche Neige parce qu'elle avait croqué la pomme. (Les premières fois, d'ailleurs, il n'avait pas "compris", pas vraiment. Il y avait tant de merveilles, dans ces histoires, tant de jolis mots, et tellement d'émotion ! Il mettait toute son application à attendre son passage préféré, qu'il récitait en lui-même le moment venu; puis venaient les autres, plus obscurs, où se nouaient tous les mystères, mais peu à peu il "comprenait" tout, absolument tout, et savait parfaitement que si la Belle dormait, c'était pour cause de quenouille, et Blanche-Neige pour raison de pomme...)
- Je répète ma question : qu'est-ce qui est arrivé à ce prince quand son père l'a chassé du château?
Nous insistons, nous insistons. Bon dieu, il n'est pas pensable que ce gosse n'ait pas compris le contenu de ces quinze lignes ! Ce n'est tout de même pas la mer à boire, quinze lignes !
Nous étions son conteur, nous sommes devenus son comptable.
- Puisque c'est comme ça, pas de télévision tout à l'heure !
Eh ! oui...
Oui... La télévision élevée à la dignité de récompense... et par corollaire, la lecture ravalée au rang de corvée... c'est de nous, cette trouvaille..."
Éditions Gallimard - 175 pages
Commentaires
mercredi 19 avril 2006 à 09h55
Excactement de ton avis
mercredi 19 avril 2006 à 12h42
Il est bien fait votre blog... vous êtes une grande lectrice
à vous lire
Pierre
mercredi 19 avril 2006 à 14h36
Je remets la main dessus et je m'y replonge... avec délices, bien sûr.
mercredi 19 avril 2006 à 14h41
Ma première copie de ce livre était en grand format. Elle m'avait été donnée par une personne que j'aimais beaucoup et qui avait souligné et commenté ce livre à mon attention. Il vivait à chaque fois que j'en ouvrais les pages. Depuis, je l'ai prêté et il n'est jamais revenu. Alors j'en suis à ma troisième ou quatrième copie de la version "livre de poche ". C'est un peu moins vivant, mais quelquefois, au détour d'une idée, je revois l'écriture serrée qui m'avait guidée, la première fois.
mercredi 19 avril 2006 à 21h04
faudrait que je le relise .... quand je serai a la retraite
mercredi 19 avril 2006 à 21h21
C'est en lisant "Comme un roman" que j'ai eu envie de lire Madame Bovary... Depuis, Flaubert est un de mes auteurs favoris.
vendredi 21 avril 2006 à 08h23
Papillon : Cela veux dire que j'ai su trouver les mots justes pour en parler. Merci
Pierre : J'essaie de rendre ce lieu le plus agréable possible. N'hésitez pas à revenir. Une grande lectrice? Je ne sais pas... Si on se réfère aux statistiques, je suis une "extraterrestre" MDR! En France on est considéré comme gros lecteur à partir de 12 livres par an. Moi... j'en suis à 6 ou 8...... par mois....
Dédale : Tu me diras si tu l'as relu avec toujours autant de plaisir.
Mamathilde :J'ai également la version grand format. Sur la mienne point de notes à l'intérieur des pages, mais une dédicace de "moi" pour "lui" datant de notre rencontre. Quant aux prêts, j'ai résolu le problème : un très bon logiciel qui conserve tous les info sur mes bouquins (références, résumé, commentaires, couverture... et prêt). Évidemment, cela ne sert pas à grand chose quand le livre est oublié dans un train mais ça c'est une autre histoire.... MDR!
Ars' : N'attends pas la retraite !!!!! Ce livre se lit en 1 heure 30 maximum et il est absolument indispensable !!!!
Sok : Moi, cela m'a donné envie de lire à mes élèves. Hier ils ont eu droit à "Nulle et grande Gueule". Après 30 pages et une demie-heure de lecture, les 4 filles présentes ont pris les références pour l'acheter.
dimanche 23 avril 2006 à 17h16
Moi aussi j'ai adoré ce livre.
Enfin un livre qui présente la lecture comme un plaisir libre et non comme un devoir intellectuel.
A conseiller à tous ceux qui préfèrent parler de "livres" plutôt que de "bouquins"...
lundi 5 juin 2006 à 21h15
j'ai beaucoup aimé ce livre, facile à lire! un vrai bonheur!
mercredi 29 novembre 2006 à 15h00
ce livre est très lourd, on parle de "lire" dans toute les pages, les phrases sont longues et je n'est pas été cacptivée, mais ennuyée!!
mercredi 29 novembre 2006 à 18h42
Nolwen et Nina, vous êtes la preuve flagrante que nous sommes tous différents face à un livre...
lundi 15 janvier 2007 à 17h30
Je suis entièrement d'accord avec Daniel Pennac. D'ailleurs, je vais m'acheter son livre le plus rapidement possible
jeudi 26 avril 2007 à 17h29
enfait ,j'ai adoré la saga malausène qui est exelente et je voudrais avoir l'adresse de daniel pennac pour pouvoir le féliciter!!
si quelqu'un l'a...
merci d'avance.je vous conseille a tous de lire au bonheur des ogres et la suite vous allez vous eclater!!!
jeudi 26 avril 2007 à 18h39
Je viens de relire les commentaires, et pour préciser un peu le n°7, je doit te contre dire Laurence...
Rapport aux cours en bibliothéconomie que j'ai eu l'an passé pour préparer mon CAPES Documentation (ça le fait, dit comme ça, non ? :P ), on considère comme étant un "gros lecteur" une personne lisant tout au plus 5 livres dans l'année. Donc dans ce cas de figure je te rejoins au club des extra-terrestres
Sinon, pour parler du roman (quand même...), je l'ai lu au collège et n'en ai qu'un très vague (sans écume) souvenir. Il faudrait que je m'y replonge (métaphore filée, pour le public averti)...
jeudi 26 avril 2007 à 18h45
Nina : si tu veux lui écrire, il faut envoyer une lettre à son éditeur qui théoriquement transmettra.

Cœur : 5 livres par an???? Mais j'ai explosé mon quota pendant ma seule première semaine de vacances de Pâques !!
jeudi 8 novembre 2007 à 13h36
je viens juste de finir de le lire et...c'était pas mal =)
(en 2 jours quand même!)
merci à D. Pennac
mercredi 23 janvier 2008 à 16h51
c'est vrai qu'à vous lire, vous n'êtes seulement que de "grands enfants".
merci pennac
jeudi 24 janvier 2008 à 21h01
Hugo : Oh oui ! De grands enfants ! Et que ça fait du bien....
dimanche 28 septembre 2008 à 09h45
J'ai lu ce livre j'ai 15 ans il est super je me suis deja reconnus !
mercredi 22 octobre 2008 à 18h01
Juste par hasar je dois faire un commentaire oral sur ce livre, je l'ai bcp aimé mais je dois émettre des reserves et je ne trouve pas ... aidez moi svp
lundi 27 avril 2009 à 19h01
Ayant commandé le livre en librairie, je l'ai reçu avec du retard. Et plus exactement le jour avant de mon "interro" à l'école. Je l'ai donc dévoré en une après-midi (en me forçant un peu au début ..) mais j'avoue avoir beaucoup aimé. Daniel Pennac traite le sujet avec une certaine légèreté et un certain humour !
Adrian, 16 ans
dimanche 6 décembre 2009 à 20h19
bnjour à tous.
j'habite l'Algérie et j'enseigne les sciences physiques au collège mais j'adore la léttérature française et j'ai eu le plaisir de lire ce livre 3 fois.et je dis bravo bravo bravo.et j'aimerai avoir l'aimail de l'écrévain pour bien en débattre.merci à tous.
mercredi 2 novembre 2011 à 14h52
Salut, je viens de dévorer touts les romans de Pennac en 1 mois et j'aimerais pouvoir lui écrire : OK lui envoyer a la maison d’édition mais... Laquelle ??
!!
Et j'aimerais savoir ou fait-il des conférences !!
J'ai v que le blog n'avais pas été mis a jour depuis longtemps alors j’espère que l'on me répondra
Salomé , 12ans .
mercredi 2 novembre 2011 à 20h25
Bonjour Salomé,
pour joindre Daniel Pennac il faut lui envoyer ton courrier aux éditions Gallimard (Paris).