Tel est le propos de cette pièce de théâtre, qui a la particularité de ne pouvoir être jouée que dans un bibliothèque.
Imaginez, qu'une troupe crée cette pièce dans votre ville... À la nuit tombée, vous arrivez face à la bâtisse imposante, muette comme jamais. On vous ouvre les portes, et vous redécouvrez les pièces sous un nouveau jour. Les tables et leurs petites lampes sont là, attendant sagement que vous preniez place. Et dans cette suspension du temps, un livre, Bertoli, vient à votre rencontre. Il commence à disserter sur ce qu'il connaît. Il faut l'excuser, c'est un livre de conférence. Alors il étale son savoir, il partage avec vous ses connaissances. Jusqu'à ce que Ragionello, roman du 18ème, et Alégoria, récit du 19ème, l'interrompent dans sa diatribe. C'est qu'ils ont des choses à se dire... Enfermés dans leur rayonnage toute la sainte journée, ils profitent de la nuit pour parler de la vie, de la fiction et de la réalité. Où est la vérité? Et si la fiction était ce qui se déroule derrière les fenêtres de le bibliothèque? Cette femme qui passe dans la rue, est-elle réelle ou issue de l'imagination des livres?
Et puis Fantolin arrive. C'est un tout jeune livre, fraîchement débarqué dans le fond de documentation. Il a tout à apprendre. Bertoli, Ragionello et Alegoria se chargent de son initiation. Ils se racontent, se lisent en attendant que le soleil ou le gardien de nuit ne viennent annoncer la fin de leur récréation.
Cette courte pièce est étonnante. Trop brève sûrement. On aurait envie que la représentation se prolonge, mais déjà, les livres retournent à leur place, en attendant que l'humanité reprenne ses droits.

Fuochi Sparsi a été créé pour la fondation Magnami-Rocca de Palerme et ne peut être joué que dans sa villa et son parc. Les spectateurs, accompagnés de deux guides, Louise et Andrea, découvrent autrement les oeuvres picturales exposées dans ce lieu : de Tiepolo à Dürer en passant par Goya et Morandi, la pièce nous propose une nouvelle interprétation de ces oeuvres. Cette visite est une réflexion sur l'art, la vie, et la réalité.

Extrait d'une Nuit à la Bibliothèque:

Ragionello
[..] je préfère t'écouter. Plaquée à la vitre comme un papillon de nuit. C'est à peu près ce que nous sommes.
Alegoria
Des papillons de nuit? Pourquoi pas? Mais nous n'avons pas d'ailes, souviens-t'en.
Ragionello
Non, mais il y a des signes, il y a une écriture sur leurs ailes. Ce sont des livres ouverts et qui volent. Mais les hommes ne les lisent pas.
Alegoria
Et nous, tu crois qu'ils nous lisent? Moi, cela fait trois mois que l'on ne m'a pas demandée.
Ragionello
Il paraît que ça va empirer. Tu te souviens de cette image que nous avons regardée l'autre fois? Ces hommes qui lisent debout dans une bibliothèque de Londres bombardée, et qui semblent très grands, comme des fantômes. Eh bien, par un côté, c'est une image heureuse, car ce qu'on doit imaginer maintenant ce sont non seulement des bibliothèques détruites mais aussi des bibliothèques intactes devenues désertes. Pas parce que les hommes ne liront plus, mais parce qu'il n'y aura plus personne pour lire.
Alegoria
Qu'est-ce que tu veux dire?
Ragionello
Ce que je viens de dire. Plus d'hommes. Ils auront disparu.
Alegoria
Et nous deviendrons alors les seuls témoins de leur passage, de leur existence, de leurs émotions, de leurs erreurs? Des témoins témoignant devant un tribunal vide. Rien que le ciel et nous dessous, immobilisés pour toujours... (un temps) C'est bizarre, mais ce n'est pas une idée entièrement déplaisante. Nous serions délivrés du service. Peut-être enfin libres, peut-être enfin écrits, déposés. Enfin objets. Oh, même pas ! Choses, comme l'éponge au fond de la mer. Comme la pierre qui borde le puits.
Ragionello
Oui, même sans lecteurs, nous ne serions pas morts.
Alegoria
Nous serions éternels, alors?

une nuit a la bibliotheque
Éditions Christian Bourgois - 91 pages