Niccolo Ammanti installe très vite une ambiance oppressante. L'été est particulièrement chaud cette année-là : le soleil brûle comme une lame acérée et la nuit n'apporte pas la fraîcheur tant espérée. Au milieu de cet enfer, les enfants sont livrés à eux-mêmes : du moment qu'ils sont à l'heure au moment des repas, leur sort ne semble pas intéresser les adultes. Ces derniers sont trop occupés par leurs réunions nocturnes et leurs étranges aller-retour. Et si le secret que Michele avait découvert était lié à cette agitation?

L'auteur joue avec nos peurs : celles de notre enfance avec ses monstres et autres croque-mitaines, mais aussi avec nos frayeurs d'adultes. Je n'ai pas réussi à me décrocher de ce roman avant d'avoir tourné la dernière page. On est pris au piège de cette histoire sordide : quand les enfants découvrent que les monstres sont humains, et que les adultes ne sont pas des dieux.
Un léger bémol, dû peut-être à un problème de traduction : des erreurs dans la concordance des temps nous rappellent que nous lisons un roman et nous éloignent parfois de l'atmosphère du récit.

Extrait :

"Papa ! Papa..." j'ai poussé la porte et me suis précipité à l'intérieur. "Papa ! Je dois te dire..." Le reste s'est éteint sur mes lèvres.
Il était dans son fauteuil, le journal entre les mains et il me regardait avec des yeux de crapaud. Les pires yeux de crapaud qu'il m'était donné de voir depuis le jour où j'avais bu l'eau de Lourdes en pensant que c'était de l'eau qui pique. Il a écrasé son mégot dans la tasse à café.
Maman s'est assise sur le divan en train de coudre, elle a levé le tête et l'a rebaissée.
Papa a pris de l'air par le nez et a dit : "- Où t'étais passé toute la journée?" Il m'a examiné de la tête aux pieds. "Mais tu t'es vu? Dans quoi tu t'es roulé, bordel?" Il a fait une grimace. "Dans la merde? Tu pues comme un porc! En plus, t'as bousillé tes sandales !" Il a regardé sa montre. "Tu sais l'heure qu'il est?"
Je suis resté silencieux.
-Je vais te le dire, moi. Il est trois heures vingt. On ne t'a pas vu pour manger à midi. Personne ne savait où tu étais. Je suis allé te cherché jusqu'à Lucignano. Hier, tu t'en es bien sorti, aujourd'hui non.
Quand il était fou de rage, papa ne hurlait pas, il parlait à voix basse. Ça me terrorisait. Aujourd'hui encore, je ne supporte pas les gens qui n'expulsent pas leur colère.
Il m'a indiqué la porte. "- si tu veux faire ce qui te plaît, vaut mieux que tu dégages. Je ne veux plus de toi. Va-t-en.
- Attends, je dois te dire un truc.
- Tu dois rien me dire, tu dois sortir par cette porte.
J'ai imploré. - Papa, c'est un truc important...
- Si tu t'en vas pas d'ici trois secondes, je me lève de ce fauteuil et je te botte le train jusqu'au panneau d'Acqua Traverse." Et soudain il a haussé le ton. "Fou-moi le camp!"
J'ai fait oui de la tête. J'avais envie de pleurer. Mes yeux se sont remplis de larmes. J'ai ouvert la porte et j'ai descendu les escaliers. Je suis remonté sur le Clou et j'ai pédalé jusqu'au torrent."

je n'ai pas peur
Éditions le Livre de Poche - 252 pages