Erda a le malheur d'être née fille. Ses parents, déjà âgés et sachant qu'elle est leur premier et dernier enfant, refuse d'admettre qu'ils n'auront pas d'héritier mâle.
Erda est confiée aux bons soins des nourrices et perceptrices. Très vite, son génie pour l'interprétation est remarqué par Johann Fried qui la prend sous son aile. Mais Erda n'est que le fantôme d'elle-même. son corps stérile et aride lui refuse sa part de féminité. Jusqu'au jour où...

Ce récit est le combat d'une femme qui apprend à s'accepter.
La narration a du mal à s'installer et toute la partie qui raconte le parcours d'Erda, jusqu'à son "réveil", est un peu longuet et suranné. Mais dès qu'elle entre sur le ring, l'écriture se fait violente et puissante, au service de la rage contenue dans ce corps trop frêle. La tension monte de plus en plus, pour exploser en mille éclats dans la scène finale.

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Du même auteur : Je changerai vos fêtes en deuil et Heureux qui la verra dans cette autre lumière

Extrait :

"Dans le rêve qui suivit, au sein duquel elle s'assoupit, elle vit le piano s'animer, se reformer, son couvercle se soulever et demeurer en équilibre grâce à la béquille en bois qui ressemblait au bâton du chef d'orchestre. Apparut alors Johann, souriant de toutes ses dents d'ivoire, mais celles-ci étaient toutes gâtées par les touches noires, chicots nauséabonds. Chaque fois qu'elle tentait de l'approcher, il s'éloignait, ses traits se dissolvaient dans un magma de pourriture et son corps disparaissait en poussière. Se réveillant, elle comprit qu'il lui était possible de devenir maître de sa destinée. Elle prit enfin conscience qu'elle avait toujours été conduite, préservée, guidée par ses seules mains, vivantes créatures de son corps éteint, et par la musique, sa perfusion nourricière.
Elle conçut qu'elle devrait apprendre à vivre avec sa propre autorité, à se construire une existence dont elle n'avait été que le jouet dans un univers d'ensorcellements. Elle devait accepter Johann et sa fuite, Rudolf et sa cruauté, ses parents et leur absence, pour enfin les abandonner, les rejeter, les haïr et s'aimer.
Haletante, sentant le sang de ses veines battre ses tempes comme jamais, essoufflée, elle acheva, par la pensée, sa course à travers le passé déserté et sans repères. Les jambes flageolantes, elle descendit les deux étages pour retrouver sa respiration dans le jardin du Luxembourg, étonnée, émue, happant la vie, heureuse et affolée de sa témérité au son d'un monde dont, avec son piano, elle devrait, dans la souffrance entreprendre la reconquête. Remontant dans sa chambre, elle comprit en voyant le piano l'accueillir comme si elle était son invitée et lui dire sa complicité sous la patine miroitante de son ébène, qu'il serait son compagnon dévoué, son seul amour."

la vengeance du piano
Éditions du Rocher - 73 pages