Car Victor Pontier est bien décidé à finir la nuit avec Léa Belmont, et que celle-ci ne montre aucun enthousiasme ne semble par le freiner dans ses ardeurs, bien au contraire.
Comme au théâtre, tout le récit respecte la règles des trois unités : lieu (la salle de restaurant), temps (les quelques heures d'un dîner) et action (Léa Belmont parviendra-t-elle à signer son contrat sans céder à l'ignoble chantage?)

C'est savoureux comme un bon repas. Victor Pontier est cynique au possible et chacune de ses interventions est un brûlot contre le milieu littéraire, l'individualisme et la société de consommation. Quant à Léa Belmont, elle joue les idiotes, avec beaucoup de finesse et d'élégance, pour mieux déjouer les plans de Victor.
Un récit drôle et grinçant, jusqu'à la dernière page. Car c'est au moment où vous serez presque hors du livre, que Henri Frédéric Blanc vous assènera le coup de grâce....

Lire aussi l'avis de Cuné

Du même auteur : Le dernier survivant de Quatorze

Extrait :

Il ricana du nez et dit :
- À l'heure actuelle, la tisane a meilleur presse. Vous c'pas, vous écrivez pour pêcher la cruelle vérité, non pour noyer le poisson... Vous ne mâchez pas vos mots, vous osez appeler un rat un rat... Personnellement, je considère que votre audace est une qualité. Cependant mes illustres collègues du comité éditorial ne sont pas tous de cet avis. Certains estiment que le lecteur a le droit d'ignorer le mauvais côté des choses... Il mérite le respect, on ne doit pas attenter à sa liberté d'illusion.
- Et qu'est-ce qu'il en pense? demanda Léa.
- Qui donc?
- Le lecteur?
- Vous savez Léa, le public mange ce qu'on lui donne. Qu'on médiatise du jus de chaussette en proclamant que c'est un pur nectar, et le public s'en délectera. En tout cas il achètera, c'est ce qui compte. Les gens achètent n'importe quoi, hélas...
- C'est peut-être parce qu'on leur vend n'importe quoi.
- Mais quand on ne leur vend pas n'importe quoi, s'écria Victor, ils n'achètent plus rien ! Comment rendre fou son voisin, nous en sommes à cent mille exemplaires, est-ce ma faute? La santé par les bains de siège, quatre-vingts mille, que voulez-vous que j'y fasse? La brume effacera nos larmes, le roman de l'épouse du roi de la porcelaine, grand prix des fabricants d'infusion, nous procédons au sixième tirage, qu'y puis-je? Le mémoire de n'importe quelle prostituée, même n'ayant jamais travaillé à la télé, ça se vend mille fois mieux qu'une nouvelle traduction de Goethe...
- Ceux qui commettent avec préméditation de la littérature industrielle sont quand même plus coupables que ceux qui en achètent sans réflexion.
- Bon, il est vrai que certains confrères en viennent à faire du livre au lieu de faire des livres, ou qu'ils ont tendance, sous la pression de nos amies les banques, à publier n'importe quoi si l'auteur n'est pas n'importe qui... Disons que, pour survivre, ils sont obligés de mettre du plâtre dans leur farine – mais personne n'est obligé de courir acheter leur pain. Les consommateurs ne méritent parfois que leur première syllabe.

nuit gravement au salut
Éditions Actes Sud - 97 pages