Delft 1664. La jeune Griet entre au service de Johannes Ver Meer, portraitiste renommé.
Dans la maison de ce dernier, elle découvre ce qui rend si singulier le talent de son maître, débordé par sa bruyante progéniture et les travaux de commande.
Ni l'étroite surveillance de la belle-mère du peintre, ni la jalousie de son épouse, n'empêcheront qu'une certaine intimité s'installe entre la servante et le peintre.

En partant d'un portrait célèbre mais mystérieux, Tracy Chevalier imagine une belle histoire de complicité entre un peintre et son modèle. Si la sensibilité artistique de la jeune servante Griet n'est guère crédible, la romancière américaine parvient néanmoins à suggérer son éveil à la beauté et à l'harmonie. Tracy Chevalier a la bonne idée d'entourer son héroïne d'une galerie de personnages secondaires. Raconté par Griet elle-même, le quotidien de la maisonnée Ver Meer prend vie avec beaucoup de réalisme. La romancière puise habilement dans le peu de détails connus de la vie du célèbre peintre pour dresser un tableau où les femmes sont maîtresses, effaçant peu à peu le seul élément masculin de ce véritable gynécée.

Habilement documenté, le récit plonge le lecteur dans le Delft des peintres flamands et des faïenciers du XVII° siècle : atmosphère alourdie par la peste qui rôde, méfiance entre catholiques et partisans de la Nouvelle Foi, lumière froide du Nord et rayons de soleil qui la traversent parfois pour illuminer l'œuvre d'un maître fasciné par la composition.
Curieusement, une fâcheuse tendance à la répétition de certaines expressions vient alourdir ce deuxième roman. Défaut que je n'ai pas constaté dans ses autres ouvrages (également traduits par la même Marie-Odile Fortier-Masek). On se laisse néanmoins peu à peu capter par ce jeu de clair-obscur romantique pour plonger dans le regard de "la jeune fille à la perle" (également baptisée "la jeune fille au turban") et y découvrir, peut-être, le secret qui l'anime.

De ce joli petit livre, Peter Webber a tiré un film à l'esthétique superbe, extrêmement fidèle au roman, avec Colin Firth et Scarlett Johansson. S'il insiste sur l'aspect romantique (Colin Firth, inoubliable Darcy, n'y est pas étranger), le réalisateur fait véritablement œuvre picturale : chaque plan, chaque scène est aussi soigneusement composée qu'un véritable tableau. Un régal que Ver Meer n'aurait sûrement pas dédaigné.

A signaler : Gallimard Jeunesse a eu l'excellente initiative d'éditer ce roman en livre audio lu par Isabelle Carré.

Par Laverdure


Il ne m'a fallu pas moins d'un an entre le moment où Laverdure publiait ce billet et celui où j'ai enfin pu me plonger dans cette œuvre. Mais c'est sans aucun regret, car le récit a alors eu cette saveur des gourmandises longtemps attendues et convoitées.

J'ai d'abord été étonnée de la fluidité d'écriture de l'auteure. En effet, concentrer son intrigue sur la peinture tout en gardant une dimension romanesque n'est pas si évident que l'on pourrait le croire. Et pourtant, Tracy Chevalier a su captiver mon attention de façon exemplaire. Les passages consacrés à la composition d'un tableau ou à la difficile préparation des couleurs, ont eu sur moi un effet hypnotique mélangeant savoir et suspens.
Régulièrement, je refermais le livre pour le plaisir d'observer la couverture et cette "jeune fille à la perle" si sensuelle et mystérieuse. Je me suis amusée à retrouver dans les mots de Tracy Chevalier les détails du tableau, j'ai essayé de reconnaître la jeune fille dont elle nous brossait le portrait.
Cela m'a également donné envie de redécouvrir toute l'œuvre du peintre à travers le filtre du récit de Tracy Chevalier.

Et puis, il y a le destin de Griet... Jeune fille d'un milieu très modeste qui va se brûler les ailes auprès d'un homme taciturne et fascinant. Les rapports qu'entretient la jeune Griet avec les autres femmes de la maison révèlent toutes les mesquineries que la gent féminine sait déployer face à une hypothétique concurrente.
On est suspendu aux mots de Tracy Chevalier, attendant, inquiet pour Griet, de connaître le sort qui lui sera réservé. Le dernier chapitre donne un nouvel éclairage inattendu à ce destin hors du commun et nous conforte dans l'image que nous nous étions formée de cette jeune servante.
Une très belle histoire en somme, et cela ne m'étonne guère que Gallimard Jeunesse ait publié ce roman en livre audio, car je suis sûre, qu'à des siècles de distance, bon nombre d'adolescents se passionneront pour la vie de cette jeune fille.

Par Laurence
09 octobre 2007

Extrait :

Le lendemain matin, j'ouvris tous les volets de l'atelier et regardai autour de moi, en quête de quelque chose à faire, d'un meuble que je pourrais toucher sans offenser mon maître, d'un objet que je pourrais déplacer sans qu'il le remarquât. Tout était à sa place : la table, les chaises, le bureau encombré de livres et de papiers. Pinceaux et couteaux étaient alignés avec soin sur le bahut, le chevalet était adossé au mur, les palettes toutes propres étaient placées à côté. Les objets dont il s'était servi dans la composition de son tableau avaient été rangés dans la réserve ou remis en service dans la maison.
Une des cloches de la Nouvelle-Eglise se mit à sonner l'heure. Je m'approchai de la fenêtre et regardais au-dehors. Avant le sixième coup, j'avais pris ma décision. J'allai chercher de l'eau chaude sur le feu, un peu de savon, des chiffons propres et je revins à l'atelier où j'entrepris de laver les vitres. Je dus monter sur la table pour atteindre celles du haut.
J'en étais à la dernière fenêtre quand je l'entendis entrer dans la pièce. Ouvrant de grands yeux, je me retournai et le regardai par-dessus mon épaule gauche.
"Monsieur…", bredouillai-je.
Je ne savais trop comment lui expliquer mon initiative.
"Arrêtez."
Je me figeai, terrifiée à l'idée que j'avais fait quelque chose qui fut contraire à ses désirs.
"Ne bougez plus."
Il me dévisageait comme si un fantôme était apparu dans son atelier.
"Excusez-moi, Monsieur, dis-je, en faisant tomber mon chiffon dans le seau d'eau. J'aurais dû commencer par vous demander la permission.
Mais comme vous ne peigniez pas ces temps derniers…"
Il prit un air perplexe, puis secoua la tête.
"Oh ! les vitres… Non, non, vous pouvez continuer votre travail."
J'aurais préféré ne pas les laver en sa présence, mais comme il restait là, je n'avais pas le choix. Je rinçai mon chiffon, le tordis et le passai à nouveau sur les carreaux, à l'intérieur et à l'extérieur.
Ayant terminé, je reculai pour juger de l'effet. Le jour entrait, limpide. Il se tenait toujours derrière moi.
"Etes-vous satisfait, Monsieur ? demandai-je.
-Regardez-moi encore une fois par-dessus votre épaule."
J'obéis. Il m'observait. Il s'intéressait de nouveau à moi.
"La lumière est plus limpide maintenant.
En effet."
Le lendemain, la table, recouverte d'une nappe rouge, jaune et bleue, avait retrouvé sa place dans l'angle où il travaillait. Il avait placé une chaise contre le mur du fond et accroché une carte au-dessus de celle-ci.
Il s'était remis à peindre.

couverture
Editions Quai Voltaire – 271 pages.
couverture
Coffret 3 CD audio lu par Isabelle Carré – Editions Gallimard Jeunesse
DVD de Peter Webber avec Colin Firth, Scarlett Johansson 95 mn + bonus et scènes coupées.