Qu'est-ce qui peut bouleverser à ce point Jean-Marc? Qu'a-t-il vu dans la vitrine d'un magasin qui chamboule autant ses convictions?
Au cours de cette correspondance, le narrateur essaie d'expliquer à son ami le secret qui le hante. Mais face à la difficulté, son esprit prend les chemins de traverse : il parle alors de ce qu'il fait dans cet hôtel, de ses errances. Et petit à petit, il trouve les mots à mettre sur ses maux.
Dès les premières lignes, on oublie le livre en tant qu'objet pour se plonger dans ce dialogue à sens unique. Une lettre écrite sur un laps de temps de 24 heures.
Ce qui est extraordinaire, c'est qu'en plus du secret que Jean-Marc tente de révéler à son ami, Michel Tremblay réussit l'exploit de rendre acteur ce destinataire qui ne sait même pas qu'on lui écrit. Ce n'est donc pas un monologue, mais bien un dialogue qui s'installe entre ces deux amis si éloignés. Le lecteur passe sans cesse d'un océan à l'autre, imaginant tantôt l'un qui écrit, tantôt l'autre qui lit.
Quant au secret, que je ne vous raconterai pas ici, il nous rappelle le poids des mots et de l'héritage familial.
J'ai beaucoup aimé ce texte fulgurant et introspectif. Un très beau récit sur l'envie et la culpabilité. Un petit regret pourtant : j'aurais aimé que les éditeurs aient le courage de sortir des sentiers battus. Imaginez, juste un instant, pouvoir lire cette correspondance, manuscrite sur du papier A4 à l'en-tête de l'Hôtel Bristol? Cela aurait été une pure merveille !
Du même auteur : Thérèse et Pierrette à l'école des Saints-Anges , Albertine en cinq temps, Les belles-sœurs, Encore une fois si vous permettez, Hosanna, Le vrai monde?, La grosse femme d'à côté est enceinte, Le cœur découvert, La traversée du continent, Douze coup de théâtre, Un ange cornu avec des ailes de tôle et Pièce à conviction (entretien avec Michel Tremblay)
Extrait :
Mon cher Dominique,
C'est tout de même cuirieux, une lettre. Toi qui viens de recevoir celle-ci et qui me lis, tu sais déjà combien de pages elle contient, alors que moi qui la commence, je l'ignore. Sera-t-elle longue ou courte, passionnante ou ennuyeuse, pleine à ras bord de ce que j'ai l'intention d'y mettre ou vaseuse et circonlocutoire - je sais, ce mot n'existe pas, je viens de l'inventer parce que j'en avais besoin - comme il m'arrive souvent de l'être moi-même devant les choses à dire et que je n'arrive pas à formuler? Quand je la mettrai à la poste, dûment adressée et affranchie, aurai-je réussi à y exprimer le désarroi que je ressens depuis quelque temps et que je voudrais te confier, ou est-ce que je m'en voudrais, encore une fois, d'avoir été incapable d'énoncer clairement le fond de ma pensée, à cause de cette pudeur maudite et de cette maudite timidité qui me poursuivent depuis toujours? Et que tu connais si bien?
Toi, tu as d'abord tâté l'enveloppe, tu l'as soupesée après en avoir vérifié la provenance en te disant : "Qu'est ce qui lui prend de m'écrire, lui, il n'écrit jamais à personne... Et de New-York, en plus !" Je t'imagine très bien. Le cliché du parfait Parisien, version québécoise, évidemment, ce qui implique une légère déformation, une exagération un peu ridicule, une conscience de trop vouloi avoir l'air ce qu'on veut être, dont les vrais habitants de Paris sont dépourvus, un stéréotype reconnaissable parce qu'aujourd'hui aucun Pairisien n'est aussi parisien[...]
Éditions Actes Sud - 91 pages
Commentaires
vendredi 29 septembre 2006 à 18h44
J'aime beaucoup l'extrait et suis bien tentée de découvrir Michel Tremblay.
samedi 30 septembre 2006 à 07h08
J'avais été très touchée aussi, et tu en parles vraiment très bien. A noter que peut-être ça prend plus de sens si on a lu par avant "Le coeur découvert" et "Le coeur éclaté", dont les personnages sont les mêmes.
samedi 30 septembre 2006 à 09h29
Florinette : N'hésite surtout pas ! ça se lit très vite et très bien.
Cuné : Merci m'dame, je suis très touchée. J'ai longtemps tourné les phrases, car je voulais retransmettre les émotions que m'avait procuré ce livre. Et je prends bonne note de tes références : je ne savais absolument pas que ce récit était une suite. En tout cas, ça se lit très bien de façon autonome.
samedi 30 septembre 2006 à 12h06
Oh oui, moi aussi d'ailleurs j'avais commencé par celui-là, avant de lire les deux autres, e ça ne m'avait pas gênée du tout.
dimanche 1 octobre 2006 à 15h19
Je passe rapidement sur ton blog, histoire de voir ce qu'il y a de neuf, et cette note m'a accroché comme un poisson à un hameçon
Le titre, le résumé et pour finir l'extrait, m'ont séduit. Je pense que cela va être mon prochain livre.
91 pages, c'est pas plus mal, je n'ai pas trop le temps de lire ces temps ci, et je recherche des livres courts afin de ne pas m'étaler pendant des semaines dans un gros roman.
mercredi 11 octobre 2006 à 23h29
J'ai toujours cru que ce livre était la suite "D'un coeur découvert" et "D'un coeur éclaté". Je vois que ce n'est pas le cas. Je vais donc le remonter dans ma PAL.
jeudi 12 octobre 2006 à 20h42
Matthieu M. : c'est une lecture gourmandise, vas-y sans hésitation
Amandine : en tout cas, moi ça ne m'a pas gêné.
jeudi 9 octobre 2008 à 04h59
J'aimerais bien savoir comment je pourrais écrire a Michel Tremblay pour lui poser quelques questions à savoir comment écrire un roman. merci
samedi 11 octobre 2008 à 14h01
Bonjour Cyntha29,
le plus simple est encore d'adresser votre lettre à son éditeur (Actes Sud) qui lui transmettra.
mercredi 11 février 2009 à 05h54
Après avoir acheté Le gay savoir en janvier, avec le souvenir d'avoir adoré Le cœur découvert, j'ai lu ce court roman, cette lettre plutôt, que j'ai beaucoup aimé! Ça m'a fait plaisir de savoir ce qu'était devenu le personnage Jean-Marc. J'aimerais bien que ce roman ne soit pas le dernier consacré sur lui!
mercredi 11 février 2009 à 18h12
Merci Jim pour vos commentaires sur ce blog. Par contre, j'ignore si Michel Tremblay a prévu de remettre en scène de personnage.
jeudi 5 mars 2009 à 23h02
Michel Tremblay publie « Le coeur découvert » en 1986. Ensuite « Le coeur éclaté » en 1995.
J'ai vu quelque part sur internet qu'il y avait un troisième titre (c'est une trilogie)... quelqu'un connait-il le titre du troisième ? Réponse par courriel s.v.p.
dimanche 5 avril 2009 à 10h36
Depuis le temps que je voulais lire cette histoire. Voilà qui est chose faite.
Une histoire très intéressante à lire, bien amenée. J'ai aimé cette idée d'isolement pour écrire sur ce qui hante le personnage principal et aussi celle de suivre les réactions du destinataire de cette lettre. Ce genre de chose est possible quand les correspondants se connaissent bien.
Un bémol toute fois. Les disgressions de Jean-Marc m'ont un peu agacé. J'aurai aimé qu'il aille plus vite au coeur du sujet... mais finalement, elles font parties du personnage. Elles illustrent bien son état d'esprit du moment. Quand le problème est trop sérieux, on a du mal à l'attaquer bille en tête. On tergiverse un peu. :-))
Encore un autre plus, le choix de l'illustration pour la couverture. Un détail d'une toile de E. Hooper. Cela ne gâche pas le contenu
Merci Laurence pour cette lecture.
vendredi 3 juillet 2009 à 05h02
Merci pour votre commentaire Laurence!
J'ai une réponse au questionnement que je me suis posé. Le personnage de Jean-Marc revient encore une fois dans un autre livre de Tremblay, cette fois en tant que personnage secondaire, il me semble, dans l'homme qui entendait siffler une bouilloire (il est l'ami de Simon, personnage principal)