Pourtant le critique est enfin sorti de son silence et a fait le déplacement dans cette contrée aride afin qu'Henri fasse son portrait et revienne sur la scène médiatique anglaise. Henri MacAlpine était en phase de devenir un grand portraitiste avant son exil. Le peintre va faire le meilleur portrait de sa carrière ! Mais pas forcement sur la toile et avec de la peinture.

Ce sont des mots, uniquement des mots qui nous dépeignent le critique dans toute sa noirceur, sa misogynie, sa misanthropie ! Un long monologue du peintre nous donne à voir qui est réellement ce personnage admiré par tout le milieu artistique anglais mais aussi parisien. Lui qui, en quelques lignes dans un journal, faisait ou défaisait une carrière a pourtant bien des choses à se reprocher. Le ton d'Henry nous le montre, se teintant peu à peu d'amertume, de rancœur, de haine, de dégout envers celui qui a été son ami et qui écoute chaque parole tandis que le pinceau couche les couleurs qui dépeignent la noirceur de son arrivisme.
Au fur et a mesure que le portrait se dessine, les aveux tombent, lourds de tant de silence jusqu'au coup final.

Cet exercice de style, qui aurait pu rendre ce roman lourd et illisible, est mené par une main de maitre. Ce monologue n'est en rien rébarbatif mais bien au contraire fascinant grâce à l'écriture subtile de Iain Pears. Ces connaissances de l'art et de la peinture lui permettent de piéger le lecteur dans sa toile pour lui montrer combien l'art et la vie sont unis comme les doigts de la main. Terriblement émouvant, sombre, captivant comme l'est l'océan qui vient s'abattre sur les falaises de l'ile d'Houat pendant les tempêtes. La beauté et la sensibilité de ce récit ne vous laissera pas indemne.

Par Arsenik_

Extrait :

Bon. Au travail maintenant ! J’ai fini les croquis ; j’en ai assez de dessiner tes beaux traits sous divers angles. J’ai imaginé toutes sortes de poses, avant de choisir finalement celle que j’avais en tête depuis le tout début. La pose particulière que tu adoptes quand tu es assis dans un fauteuil, une épaule légèrement en avant, tandis que ta tête esquisse un mouvement vers elle. Tu donnes l’impression d’être toujours sur le point de bouger, d’être plein d’énergie. A tord, à mon avis, car tu es l’une des personnes les plus lymphatiques que j’aie jamais connues. Ton dynamisme n’est pas du tout physique ; voila un parfait exemple de phénomène psychosomatique, qui crée une illusion et fait oublier tes pilules pour le cœur, tes bras grêles, ta tendance à souffler et à ahaner quand tu montes un escalier. Belle illustration du pouvoir de la volonté sur la réalité, car je pourrais te flanquer une correction magistrale, te soulever et te transporter à ton corps défendant, jusqu’au milieu de l’ile.

couverture
Éditions Belfond - 190 pages