Mais ne vous imaginez pas quelques histoires scabreuses ou d'amours interdits. Non, loin de là. L'auteur nous présente l'amour qui étreint un vieux cœur. L'enfant grandit et s'en va gagner en ville de quoi payer les dettes de ses parents. Mais Claire-Belle est loin et elle ne donne aucune nouvelle. Son père n'écoute pas les rumeurs qui circulent au sujet de sa fille. Pour lui, elle vit au loin, une vie merveilleuse, un destin exceptionnel. Elle est devenue impératrice. Il est par conséquent, Empereur du Portugal.
Claire-Belle reviendra mais changée dans ses manières et son caractère. Les retrouvailles ne seront pas si faciles.

À ce jour, c'est pour moi le plus beau roman de Selma Lagerlöf.
Un roman tout délicat qui décrit bien les sentiments d'un père simple, foncièrement bon, isolé car peu de monde au village ne le comprend vraiment.
Sauf sa fille, jusqu'à ce qu'elle parte à la ville. On ne peut qu'être touché par ce personnage si attachant, si singulier. Tout cela est fort bien exprimé par le style de Lagerlöf si épuré, sobre.
Un pur enchantement !

Du même auteur : Des trolls et des hommes

Dédale

Extrait :

Malgré lui, Jan Andersson eut l'impression que cette fois il était, lui, le héros du jour. Katrinna l'accueillit d'un doux regard, comme pour lui demander s'il était content d'elle. Et les yeux des autres femmes tournées vers lui paraissaient attendre des éloges pour toute la peine prise à son intention.
Mais la joie ne vient pas si vite, lorsqu'on est resté fâché et gelé durant tout un jour. Jan Andersson ne put effacer de son visage l'expression d'Erik de Falla et il demeura immobile sans dire un mot. Alors la sage-femme fit un pas en avant et la pièce n'était pas assez grande pour que ce seul pas ne l'amenât tout contre Jan Andersson et qu'elle ne pût lui mettre le poupon entre les bras.
- Allons, regardez-la, votre petite fille ; n'est-elle pas ce qui s'appelle réussie ? dit-elle.
Et le voilà tenant dans ses mains quelque chose de chaud, de doux, enroulé dans un grand châle. Le châle avait un peu glissé. Jan Andersson aperçut un petit visage fripé et des mains plissées et menues. Il se demandait ce que les femmes se figuraient qu'il allait faire de ce petit paquet, mis dans ses bras par la sage-femme. Mais soudain il reçut un choc si violent que lui-même et l'enfant en furent tout secoués. Le choc ne venait pas du dehors ; cependant Jan Andersson ne se rendait pas compte si, partant du bébé, il venait l'atteindre ou si, au contraire, c'était lui-même qui éprouvait d'abord la secousse et la transmettait à sa petite fille.
Aussitôt son cœur se mit à battre dans sa poitrine - jamais encore il n'avait battu ainsi - et du même coup il n'avait plus froid, ses ennuis, ses soucis s'étaient envolés, il n'était plus fâché non plus, tout était bien.
La seule chose qui le tourmentât encore, c'était ce cœur qui cognait et tapait si fort dans sa poitrine, alors qu'il n'avait ni dansé ni escaladé une montagne abrupte.
...
- N'avez-vous jamais auparavant aimé personne assez pour avoir des battements de cœur ? demanda la sage-femme.
- Non, dit Jan.
Et, au même instant, il sut ce qui avait fait battre son cœur. Et, de plus, il commençait à se douter de ce qui lui avait manqué pendant toute sa vie. Car celui qui ne sent son cœur battre ni dans la tristesse, ni dans la joie, ne peut être considéré comme un véritable être humain.

couverture
Édition Stock - 251 pages