A la différences des autres versions, Henry Bauchau n'entame pas son récit sur les quelques heures qui précèdent la mort d'Antigone. Bien au contraire. Profitant de la liberté qu'offre le roman, il suit Antigone dès la mort d'Œdipe.
Mendiant auprès de son père depuis des années, Antigone décide de rejoindre les siens à Thèbes. Elle espère surtout jouer le rôle de médiatrice entre ses deux frères.
Dans cette Antigone, c'est donc toute la guerre entre Polynice et Étéocle qui nous est contée : la ville assiégée, les combats, les complots, la maladie...

Henry Bauchau offre à Étéocle, Polynice et Ismène la place qu'on leur avait refusé jusque-là. Le roman d'Henri Bauchau est donc pour moi le récit de cette fratrie plus que celui de la petite noiraude. Bien sûr, Antigone est le lien, et elle est omniprésente; mais elle n'est plus seule. Ismène, tout particulièrement, est ici bouleversante. Son personnage est plein de vie, d'amour et de sacrifice pour les siens.
Quant aux deux frères, Henry Bauchau nous propose une interprétation de leur conflit, bien loin de la vision traditionnelle : c'est Jocaste, et non Œdipe, qui porte en son sein les clivages de la famille. C'est elle, la grande responsable.

Très honnêtement, pour moi Antigone restera la petite maigre de Jean Anouilh. Il y a une force et une virulence que je n'ai pas retrouvé dans ce récit. Tout du moins, pas la même violence.
Mais ce que j'ai trouvé très émouvant, c'est la capacité de l'auteur de transcender le mythe. Passés les premiers chapitres, je ne lisais plus l'histoire d'Antigone, fille d'Œdipe et princesse de Thèbes, mais l'histoire de toutes ces femmes, survivantes dans ces pays en guerre, qui pansent leurs blessés la rage au ventre et le cœur sur la main.
Un récit au-delà du mythe.

Du même auteur : Œdipe sur la route, Le boulevard périphérique, La lumière d'Antigone, Déluge, Les vallées du bonheur profond, Le régiment noir

Voir aussi, Antigone de Jean Anouilh (la critique ou l'analyse) ou Antigone à New York de Janusz Glowacki (théâtre)

Extrait :

Toute à son indignation, Ismène n'aperçoit pas le danger et je vois déjà se former sur ses lèvres le refus méprisant qui va entraîner sa perte.
Il ne faut pas que sa réponse soit possible, et mon corps, bien avant moi, sait ce qu'il faut faire. Il se jette à genoux et, le front sur le sol, extrait de la terre elle-même un non formidable. C'est un cri d'avertissement et de douleur qui brise la parole sur les lèvres d'Ismène. C'est le non de toutes les femmes que je prononce, que je hurle, que je vomis avec celui d'Ismène et le mien. Ce non vient de bien plus loin que moi, c'est la plainte, l'appel qui vient des ténèbres et des plus audacieuses lumières de l'histoire des femmes. Ce non frappe de face le beau visage et mufle d'orgueil de Créon. Il ébranle la salle, déchire les habits de pierre des grands juges et disloque le troupeau des sages.

couverture
Éditions Actes Sud - 356 pages