Louis Kehlweiler est en planque pour une sombre affaire de politique. Or voici qu'une nuit, suite à de gros orages, il découvre un petit bout de chose informe sur la grille d'un arbre. Immédiatement, son instinct se met en branle.
Cet espèce de déchet non identifié est un reste d'os, ou plus exactement, la dernière phalange d'un orteil provenant d'un individu de sexe féminin. Si il est si difficilement identifiable, c'est qu'il a fait un séjour dans l'intestin d'un chien. Pour lui, il n'y a aucun doute, le corps auquel appartient ce morceau d'os, doit pourrir dans un coin. Mais où? À Paris? Dans la banlieue? Ou à des milliers de kilomètres de là?
Pour le savoir, il se met donc à surveiller tous les chiens venant déféquer près de cet arbre. Parmi tous ces amis de l'Homme, il y a forcément celui qui a ingéré cette phalange. Pour l'aider dans sa quête, il fait appel à Marc, un historien spécialiste du Moyen-Âge et Marthe, une ancienne prostituée.
À force de ténacité, il remonte la piste jusqu'en Bretagne et atterrissent dans un bled où Louis va retrouver son passé.

J'ai retrouvé tout ce qui m'avait plu dans '"L'homme à l'envers".
Fred Vargas a ce don de faire naître des personnages haut en couleurs. Ces descriptions sont de vrais petits bijoux d'observation. À la façon d'un médecin légiste de l'écriture, elle dissèque les travers humains et nous propose une galerie de portraits drôles et précis. Les dialogues sont ciselés, travaillés et efficaces. Pas un mot de trop, tout est finement pensé et l'on ne peut s'empêcher de sourire à certaines évocations.
Le personnage de Louis est particulièrement bien senti : enquêteur solitaire, accompagné de son fidèle Buffo (un crapaud, animal de compagnie peu contrariant), il tente d'éviter les différentes embûches que les villageois lui tendent.
Le duo de l'historien et de la prostituée à la retraite est également très amusant; quant à la machine de l'ingénieur, c'est un véritable morceau d'anthologie !
Alors, oui, l'intrigue n'est pas forcément la meilleure que j'aie pu lire ces derniers mois, mais qu'importe. Je ne lis pas Fred Vargas pour ses intrigues, mais pour me plonger dans une ambiance. "Un peu plus loin sur la droite" est à ce titre une réussite.

Extrait :

Un espèce de machine de quatre mètres de hauteur, une immense et magnifique masse de ferraille et de cuivre, organisée dans ses plus petits détails, bourrée de leviers, d'engrenages, de disques, de pistons, et le tout ne servant strictement à rien. Et comme il restait hébété devant ce machin hors du commun, un type du coin était passé et lui avait montré comment ça marchait. Il avait donné un coup de manivelle en bas, et l'énorme machine s'était mise à bouger, pas un piston que ne bougeait pas, ça avait grimpé en tous sens en haut de ces quatre mètres d'articulations, redévalé par les flancs, et tout cela pour quoi? Je te le donne en mille, avait gueulé Marc la tête tournée vers les porte-bagages, tout cela pour qu'au bout, un levier s'abatte sur un rouleau de papier et imprime : C'est très possible - souvenir de Port-Nicolas. Et le type a dit qu'on pouvait prendre le papier, que c'était pour moi, gratuit, qu'il y en avait cent un modèles différents. Après ça, Marc avait fait tourner plein de fois la manivelle, fait trembler l'immense machine à rien et recueilli plein de petites maximes et souvenirs de Port-Nicolas. Il avait eu, dans le désordre, Vous brûlez. souvenir de Port-Nicolas, puis Point trop n'en faut.souvenir de Port-Nicolas, puis Pourquoi non? souvenir de Port-Nicolas puis Idée ingénieuse, puis Pourquoi tant de haine? puis Non, c'est froid et d'autres dont il ne se souvenait pas. Une machine unique. Pour son dernier coup de manivelle, Marc avait saisi le principe, il fallait se poser une question dans sa tête et actionner l'oracle. Il avait hésité entre : "Aurai-je terminé à temps l'étude des comptes du seigneur de Puisaye?" qu'il avait trouvée trop mesquine, et : "Une femme m'aimera-t-elle?", mais il avait préféré ne pas savoir la réponse si c'était non, et avait opté pour une question plus simple qui n'engage à rien telle que : "Dieux existe-t-il?".
- Et tu sais ce qu'elle m'a répondu? ajouta Marc, à l'arrêt devant le Café de la Halle et toujours enfourché sur sa sa bicyclette : Reformulez la question. Souvenir de Port Nicolas.

couverture
Éditions J'ai Lu - 254 pages