Avec l'aide d'un cartographe, Jeanne parcourt les différentes îles de l'archipel : il y a l'île de l'indicatif, où elle vit, mais aussi celles de l'impératif et de l'infinitif et cette fameuse énigme des rivages du subjonctif. Impossible de fixer sur le papier ses contours sans cesse changeants.
Parallèlement à cette quête, notre jeune héroïne tente de définir ce qu'est l'amour.
Quand la conjugaison vient au secours des sentiments.

Ce nouvel opus didactique d'Érik Orsenna est une réussite. Il donne envie de conjuguer à l'infini ce mode délaissé et mal aimé de nos contemporains. Et pourtant, sans le subjonctif, l'être humain ne serait plus qu'un robot incapable de rêves et de désirs.
Un très beau conte sur la richesse du langage.

Au quotidien, je me bats pour essayer de communiquer ma passion des mots et de la langue française. Les phrases sont comme des trésors qui dorment en attendant qu'on les découvre. Je voulais remercier ici Érik Orsenna pour ces merveilleux contes en dehors de tout jargon indigeste. Oui, l'apprentissage du français est un jeu fantastique pour peu que l'on s'en donne la peine. Je laisse donc les derniers mots à l'auteur : Mon ambition est folle : que l’Éducation nationale accepte de remettre en cause son enseignement du français. La rigueur n’implique pas le jargon. Et le respect n’empêche pas le plaisir. Il faut réapprendre la pratique de l’écriture et ne plus seulement passer son temps à disséquer, dessécher. La grammaire n’est pas une morgue. C’est le squelette qui autorise les mouvements de la vie. (Érik Osenna).

Du même auteur : La grammaire est une chanson douce, Dernières nouvelles des oiseaux, Voyage au pays du coton, L'avenir de l'eau, Longtemps

Extrait :

- Vous, Danny, si vous me parlez, je suis sûre que je comprendrai.
- Flatteuse ! Je vais commencer par un détour. Le sommeil, notre sommeil, est un continent mystérieux. Tu sais comment les savants l'explorent? Ils nous posent des fils électriques sur le crâne. Chaque fois que nous nous mettons à rêver, ils le savent. Et s'ils nous réveillent à ce moment-là, s'ils nous empêchent de rêver, qu'arrive-t-il, d'après toi?
- Aucune idée.
- Nous mourons.
- Quel rapport avec le subjonctif?
- C'est ce que tu vas voir.
La tête me tournait. À cause de l'accident, des rhums de bienvenue, des premiers effets du subjonctif? Je me laissai doucement tomber sur un rocher rond. Dany était resté debout. Il marchait de long en large comme tout bon enseignant qui se respecte.
- Commençons par le plus simple, l'endroit où tu habites : l'Indicatif, c'est ce qui existe
- Ça, je sais. Ce qui existe, ce qui a existé, ce qui existera. Du concret. Du certain. Du réel.
- Parfait ! Nous, les subjonctifs, nous nous intéressons au possible. Ce qui pourrait arriver. En bien ou en mal. Je veux qu'il vienne. Je doute qu'elle guérisse.
De temps en temps, il levait la main, ses yeux cherchaient, à droite, à gauche. À l'évidence, un tableau noir. La main retombait. "J'avais oublié que nous ne sommes pas en classe."
- Je peux te tutoyer Dany? Je commence à comprendre. Et en même temps, je comprends de moins en moins.
- Ça c'est la vie, Jeanne : plus on comprends, moins on comprend; plus on sait, moins on sait.
- Arrête de m'embrouiller. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi Nécrole vous déteste tant, pourquoi il veut lancer l'assaut contre vous.
- Je te l'ai expliqué : le subjonctif est l'univers du possible.
- Et alors?
- Réfléchis un peu, Jeanne. Qu'est-ce que le possible?
- Quelque chose qu'on pourrait faire...
- Mais qu'on a pas encore fait. Pas encore fait. Pas voulu faire. Réclamer le possible, tout le possible, c'est critiquer le réel, le monde tel qu'il est, la pauvreté, les injustices. Et donc critiquer les politiques, pas tous mais ceux, comme Nécrole, qui veulent que rien ne change : ils se satisfont très bien du monde tel qu'il est.
- Le subjonctif est un mode révolutionnaire, c'est ça?
- On peut le dire.
- Maintenant, je comprends mieux pourquoi on peut avoir peur de vous. C'est vrai que vous dérangez. Je voudrais adhérer.
- Pardon?
- Adhérer à votre club.
- Il ne s'agit pas d'un club, Jeanne. Nous formons une chevalerie.
- Chevaliers... Vous ne seriez pas un peu... prétentieux?
- Le rêve est une bataille, Jeanne. Je veux parler des vrais rêves, bien sûr, pas des petits désirs qui nous passent dans la tête et y volettent comme des moustiques.
- Qu'est-ce qu'un vrai rêve?
- C'est un rêve qui dure. Et s'il dure, c'est qu'il s'est marié. Marié avec la volonté.

couverture
Éditions Stock - 181 pages