C'est l'histoire d'une petite vague. toute petite. Elle ne ferait de mal à personne. Mais voilà, elle a le mal de mer et veut voir le bord de mer. Elle décide donc de parcourir les océans à la recherche d'un coin de plage. Sa déception sera à la hauteur de ces attentes.
Les hommes ont tout sali, cassé, abîmé. Pire, ils ont enfermé dans des aquariums géants ces amis marins, Dauphins et Cachalots.

Je ne connaissais absolument pas ce texte de Renaud. C'est donc assez surprise que je me suis retrouvée emportée par le rythme de sa voix. Ce texte est plus qu'une histoire : c'est un vrai poème, dans ce que cette acceptation à de plus noble. Renaud scande, phrase, jongle avec les mots, les images et les sonorités.
La musique n'est pas une simple illustration de l'histoire, elle y participe pleinement. Les mélodies et accords sont recherchés. Valsant entre le jazz, la bossa-nova et le contemporain, elles racontent à leur manière une partie de ce conte.
Quant à mon fils, il nous a d'abord expliqué qu'une vague qui avait le mal de mer, "avait le mal en soi". Puis, au moment de la libération des cétacés, il nous a regardé ému et nous a déclaré qu'il n'avait, avant d'entendre ces mots et cette musique, jamais eu autant de peine pour les animaux enfermés; que la force de la musique lui donnait l'impression de ressentir ce qu'ils vivaient. À ce moment-là, nous venions de finir de manger. Mon fils a donc pris le livre sous son bras pour le lire au fond de son lit.

Les instants magiques sont sacrés. Celui d'hier soir en fut un.

Extrait :

Depuis des siècles qu'elle ondoyait à la surface de l'eau, avec pour seule compagnie l'écume et le vent, avec pour seul horizon l'horizon, pour seul spectacle celui du jour se levant et du soleil couchant, la petite vague s'ennuyait à mourir et ne supportait plus de vivre au milieu de l'océan. Bref, la petite vague avait le mal de mer. Elle avait bien eu parfois, des années auparavant, la visite de quelques baleines venues percer la surface de l'eau, dans un grand geyser d'écume et des milliards de gouttes d'eau s'éparpillant dans le ciel comme une pluie de diamants, mais les baleines chassées par les hommes avaient bientôt disparu elles aussi. Sa vie s'écoulait monotone. Au fil des jours de calme plat ou des nuits de tempête, la petite vague attendait vaguement, sans trop y croire, un miracle météorologique qui l'emporterait vers d'autres cieux. Elle redoutait par-dessus tout ces nuits de pleine lune où l'océan devient lisse comme un miroir, où même le vent ne chante plus, où les vagues petites et grosses s'aplatissent jusqu'à se confondre en une immense étendue d'eau infinie, immobile et sans vie. Elle n'aimait pas non plus la houle qui la faisait rouler, craignait les ouragans qui la malmenaient et se méfiait des mers démontées ou hachées qui risquaient de la séparer de ses amies, les petites vagues insouciantes qui l'accompagnaient, insensibles, elles, au vague à l'âme et au mal de mer. La petite vague n'avait jamais vu un bateau. La petite vague n'avait jamais vu un baigneur, ni le moindre pédalo, jamais vu le bord de l'eau .La petite vague en avait par-dessus la crête de passer sa vie à faire des vagues, la petite vague écumait de rage de n'avoir jamais vu la plage. Elle rêvait qu'un vent malin viendrait un jour la conduire sur le sable doré d'une plage ensoleillée. Ah, enfin pouvoir rouler, chanter, rebondir et me briser sur les galets, songeait-elle, venir chatouiller les doigts de pieds des enfants, entendre leurs cris à mon approche, aller, venir, descendre et remonter, m'éparpiller au milieu des coquillages, des algues et des petits poissons argentés, me reformer en grondant pour de rire, en faisant semblant d'attaquer, et repartir en emportant un ballon oublié, et puis le ramener dans un tourbillon de mousse et d'eau salée.

couverture
Éditions Naïves - 48 pages