Pour le compte d'un journal d'Istambul, le jeune poète turc Ka quitte son exil allemand pour enquêter sur de mystérieux suicides de jeunes filles voilées.
Objet de diverses sollicitudes dès son arrivée dans Kars, une ville endormie d'Anatolie, Ka se retrouve piégé par son envie de plaire à tout le monde: des
islamistes aux kémalistes.
La neige, inspiration de Ka passionnément amoureux, tombe sur Kars. Ka retrouve donc son inspiration poétique au moment où les événements précipitent la
ville dans la terreur et ses actes sont guidés par le filtre de l'amour.
La neige disparaît et Ka aussi.
Tout le long de la lecture de ce roman, j'ai toujours senti le talent de cet auteur pour nous maintenir captivés. En outre je dois vous avouer qu'il a conquis mon estime en mêlant dans ce roman plusieurs dimensions de lecture, plusieurs styles, avec pour toile de fond une société turque complexe... aussi complexe que son étoile (le flocon de neige)... et la vie!
Les styles. Nouveau roman. Ou plutôt appelé roman moderne à l'international. L'anti héros dépassé pas les événements (je pense à l'existentialisme). Le poète indispensable pour ressentir la vie dans cette ville qui apparaîtrait aussi monotone que le blanc de la neige qui l'isole du monde. Un monde qui la verrait aussi simple (l'Européen par exemple, comme l'est un peu le poète) que ne l'est pas le flocon de neige utilisé par le poète pour décrire ces événements terribles qui s'emparent de sa vie. On y voit une Turquie complexe: laïque et très croyante. Des personnages complexes: tendres et violents, dans la foi ou le nationalisme; dans l'action mais toujours dans un dénuement inattendu. Personne n'est maître de son destin et pourtant l'écrit. Un roman complexe, comme la vie. Une vision complexe aussi de la société turque, sans idée simpliste, sans ce que j'appelle le "parti pris pour l'idéologie de la certitude et pour la haine du doute". Le voile, le suicide, la religion, la laïcité, la condition féminine.
Je pense qu'il y a beaucoup à écrire sur ce livre. Je vous le conseille vivement. J'ai rarement lu un aussi talentueux auteur. Merci O. Pamuk.
O. Pamuk a eu un énorme succès dans son pays avant de subir cette passion nationaliste après ses propos sur le génocide arménien. Il a alors continué à étendre sa popularité mondiale, jusqu'à obtenir récemment ce prix Nobel.
Par Frédéric
Du même auteur : Istambul : souvenirs d'une ville.
Extrait :
"Comment avez vous trouvé notre belle ville ?" demanda le présentateur.
Après un temps d'indécision, Ka répondit : "Très belle, très pauvre, très triste."
Du fond de la salle, deux élèves du lycée de prédicateurs rirent de cette réponse. Un autre s'écria: "C'est ton esprit qui est pauvre." Encouragés par cette repartie, six ou sept personnes se levèrent et crièrent. Une partie d'entre elles se moquaient, et on ne comprenait rien à ce que disaient les autres.
Quand je suis allé à Kars bien après les événements, Turgut Bey me raconta que, devant la télévision de l'hôtel, Hande s'était mise à pleurer. "Vous représentez la littérature turque allemande, dit le présentateur.
- qu'il nous dise donc pourquoi il est venu, s'écria quelqu'un.
- je suis venu, parce que j'étais très malheureux, répondit Ka. Ici je suis plus heureux. Silence, je vais maintenant lire mon poème.
Éditions Gallimard - 485 pages
Commentaires
mercredi 28 février 2007 à 08h10
C'est très bien de parler de Pamuk en ce moment. Au moment même où il est forcé de s'exiler à l'étranger sous peine d'être tué. Tout cela bien sûr, à cause de son talent littéraire. Dans certains pays, on ne peut vraiment rien exprimer. En France, est-ce que c'est pour bientôt ?
jeudi 1 mars 2007 à 15h01
Salut Léthée !

Contente de te relire ici.
jeudi 12 juillet 2007 à 18h56
Il y a, dans le roman de Pamuk, cette neige, lourde et collante, qui crée une atmosphère pesante, étouffante. A Kars, la mort rôde à tous les coins de rues, et Dieu aussi, mais un Dieu terrible, qui n’est pas fait de miséricorde. Et cette lenteur, cette lenteur excessive, effrayante et angoissante, dans une ville amortie, assourdie, étouffée dans l’ouate blanche et duveteuse de la neige trop abondante. La lecture de « Neige » a, pour moi, été lente elle-aussi car je n’ai jamais pu le lire plus de vingt minutes d’affilée tant sa narration dépressive est contagieuse. Mais on y revient quand même.
dimanche 29 juillet 2007 à 13h15
Même impression que FXB, j'ai lu ce livre très lentement, entrecoupé d'autres titres. oui, dépression contagieuse, lenteur lourde et pénible, désarroi devant tant de difficultés à vivre tout simplement. La neige recouvre tout et est l'obsession du livre, figure de style, motif pour essayer de décrire l'état d'esprit d'un homme pris entre l'orient et l'occident, essayant de comprendre et de communiquer avec des gens habitant un lieu qui devient presque irréel. On n'y croît pas, et pourtant, nous savons bien que c'est vraissemblablement une réalité de ce pays qui nous est donnée à voir là, dans sa complexité qui nous semble absurde.
Les idéaux des uns et des autres nous sont exposés avec force, des nationalistes laïques aux islamistes radicaux, en passant par ceux qui doutent,les modérés qui semblent ne pas pouvoir se faire entendre, et ne jamais être compris. Tout cela au mépris de la vie et de l'amour. Les suicides des jeunes filles qui se voilent , les violences sanglantes qui fauchent les jeunes gens dans la fleur de l'âge, tout cela dans le silence pesant d'une ville qui semble s'être habituée à tout cela comme une à fatalité inéluctable. La résignation de la majorité silencieuse est aussi déprimante que l'exaltation irritante pour des combats dont nous sommes si loin que nous avons du mal à les comprendre, à pouvoir les prendre au sérieux. Tout cela devient absurde. Une cohorte de gens qui tournent le dos à la vie, inexhorablement!
mercredi 8 août 2007 à 18h43
En France, est-ce que c'est pour bientôt ?
jeudi 9 août 2007 à 20h18
Je ne comprends pas très bien votre question Kingsdown Mattress... Si vous parlez de la publication du roman, le livre est disponible en France depuis plusieurs mois maintenant.