Dany Laferrière est un écrivain monument au Québec. Né en Haïti en 1953, il est journaliste dans son pays d’origine et arrive au Québec en 1976 puisque sa vie est en danger sous la dictature de Duvalier fils. En 1985 paraît son premier roman, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, qui fera de lui une vedette notre (petit) univers littéraire. La majorité des romans de Dany Laferrière flirte avec l’autofiction (d’ailleurs dans la majorité des ouvrages on retrouve les mêmes personnages), c’est le cas aussi de ce Pays sans chapeau paru en 1996.

Ce roman se passe en Haïti et raconte le retour au pays après vingt ans d’exil d’un écrivain nommé Laferrière. Mais cette trame est finalement un prétexte pour aborder deux thèmes centraux : Haïti et la mort. Le roman se décline dans deux styles différents. Les sections baptisées «Pays réel» sont organisés un peu comme une encyclopédie poétique et présentent divers thèmes (La toilette, L’escalier, Le taxi, etc.) où l’auteur nous raconte son pays en quelques lignes. Les sections baptisées «Pays rêvé» font place à une narration plus traditionnelle et raconte l’enquête que mène le personnage principal concernant un phénomène étrange qui se produit en Haïti.

Les forces du livre sont nombreuses. D’une part ce regard sensible et touchant sur Haïti : le livre est parsemé de proverbes et d’anecdotes qui ne laissent aucun doute quand à l’amour que Dany Laferrière a pour son pays. Cet écrivain a un style unique. Il exploite beaucoup le dialogue et dépeint des personnages qui nous habitent automatiquement. En ce sens les sections «Pays réel» ont vraiment été mes préférées. D’autre part on arrive à sentir toute l’ambivalence de celui qui vit l’exil et n’est plus vraiment chez lui-même dans son pays.

Malheureusement, il ne s’agit vraiment pas du plus grand roman de Dany Laferrière. La jonction entre les différents rapports qu’Haïti entretient avec la mort n’est pas trop convaincante Autant chaque section du livre est belle en elle-même, autant le propos général laisse sur la faim. Le narrateur assume lui-même que ce qu’il découvre en enquêtant sur la mort en Haïti est sans grand intérêt au bout du compte, et c’est un peu l’arrière-goût que m’a laissé la lecture de ce livre. À lire donc, pour les fans et pour ceux qu’Haïti passionne. Pour les autres qui veulent découvrir les classiques, opter pour Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, ou pour d’autres encore que j’espère éventuellement vous faire découvrir.

Par contre, pour moi qui aie l’immense privilège de travailler avec Dany Laferrière ces jours-ci, il est vrai que tout dans son écriture transparaît exactement ce qu’il est de fascinant et d’exubérant. Dans cette optique je vous invite à aller écouter cette entrevue radio pour découvrir le personnage.

Du même auteur :Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit ?, Journal d'un écrivain en pyjama

Par Catherine

Extrait :

« Oui, chère, depuis qu’il est arrivé, il passe son temps à taper sur cette maudite machine.
Il paraît, dit la voisine, que cette maladie ne frappe que les gens qui ont vécu trop longtemps à l’étranger.
Est-ce qu’il est devenu fou ? demande anxieusement ma mère.
Non. Il lui faut simplement réapprendre à respirer, à sentir, à voir, à toucher les choses différemment.
La voisine ajoute qu’elle connaît un remède qui pourrait m’aider à retrouver un rythme normal. Je ne veux pas de thé calmant. Je veux perdre la tête. Redevenir un gosse de quatre ans. Tiens, un oiseau traverse mon champ de vision. J’écris : oiseau. Une mangue tombe. J’écris : mangue. Les enfants jouent au ballon dans la rue parmi les voitures. J’écris : enfants, ballon, voitures. On dirait un peintre primitif. Voilà, c’est ça, j’ai trouvé. Je suis un écrivain primitif.»

couverture
Éditions du Rocher - 280 pages