En effet, ni le titre, ni la couverture n'auraient, je pense, attiré mon regard dans les rayons de la librairie. Or il se trouve que cette fois là, j'étais en compagnie de mon doux et tendre, et qu'il a fortement participé à entretenir mon vice en faisant sa propre sélection de livres. Ce petit roman était donc sur nos étagères à attendre patiemment que son tour vienne. Et comme souvent, ce fut finalement moi qui le lus la première.

Aziz, le narrateur a mal commencé dans la vie. Il y en a comme ça qui n'ont vraiment pas de chance. Alors qu'il n'était encore qu'un nourrisson, la voiture de ses parents fut percuté accidentellement par un gitan. Seul survivant du véhicule, une Ami6, il fut immédiatement recueilli par la famille Tzigane, et fut surnommé Ami6 en souvenir du jour funeste. Au fil des ans, Ami6 s'est tranformé en Aziz.
Aziz grandit donc dans la banlieue marseillaise, partagé entre la culture gitane de sa famille d'adoption et les traditions arabes que son nom lui impose. Jusqu'au jour où la police l'interpelle et décide de le renvoyer au Maroc, ce pays qui n'a jamais été le sien.
Pour l'accompagner dans son périple, le ministère mandate un "attaché humanitaire" censé l'aider à retrouver ses racines. Aziz invente alors un Eldorado, une contrée imaginaire perdue au fin fond de l'Atlas.

J'ai accroché à ce roman dès les premières lignes. Immédiatement l'humour de Didier van Cauwelaert fait mouche.
L'histoire de ce gamin, ni gitan ni arabe, qui essaie de trouver quelques repères pour grandir est irrésistible. Aziz a le regard naïf, un peu lunaire, des humains foncièrement bons et généreux.
Et puis, le récit avançant, l'humour cède la place à la poésie la plus pure. Sans en avoir conscience, Aziz déclenche une avalanche et entraîne avec lui ceux qui croisent son destin. Mais c'est un précipice salutaire, nécessaire, pour mieux renaître ou se réconcilier avec soi-même.
Aller-Simple est une histoire d'amitié, d'amour et de générosité.
À noter que Didier van Cauwelaert a reçu pour ce roman le prix Goncourt en 1994. Fait que je n'ai découvert qu'après avoir fini ma lecture. Et pour une fois, je ne peux qu'applaudir des deux mains cette décision.
Si vous ne connaissez pas cette œuvre, précipitez-vous, c'est un vrai bijou.

Du même auteur : La demi-pensionnaire

Extrait :

Je me trouvais donc à Marseille en qualité de Marocain provisoire, avec permis de séjour payable à chaque renouvellement. Tant qu'à faire un faux, on aurait pu carrément me donner la nationalité française il me semblait, mais c'est vrai aussi que je n'avais pas voulu mettre le prix. J'a des principes, moi. L'argent que je gagne avec mes autoradios, je le donne à la cité : il sert à rembourser mon enfance, pas à engraisser les faussaire du Panier. De toute façon, une race, pour moi, ça ne s'achète pas; c'est comme la couleur des yeux ou le temps qu'il fait, tous ces trucs qui vous tombent dessus dans vous demander votre avis. Et puis si les gens ont besoin d'un faux papier pour se rendre compte que je suis français, je préfère rester arabe. J'ai ma fierté.
Non, le seul endroit où je me pose un problème, c'est le terrain de foot. Là, pour le coup, je me sens tiraillé. Jouer dans les Roms de Vallon-Fleuri contre les Beurs du Rocher-Mirabeau, j'ai l'impression que je trahis. Et non seulement je trahis, mais en même temps j'usurpe : je sais très bien que les Tsiganes ne me considèrent pas comme un des leurs. Un gadjo avant-centre, même quand il marque un but contre sa race, c'est un bon avant-centre, mais ça reste un gadjo. C'est ainsi que finalement, je suis devenu arbitre.

couverture
Éditions J'ai Lu - 120 pages