César est vite innocenté, mais les rumeurs sont tenaces dans les villages bretons. Alors, il fuit, laissant derrière lui sa mère et Jeanne, celle qui l'aime et qui attend son enfant.

Des années d'errance et d'absences que chaque personnage va vivre à sa façon.
Marie-Hélène Westphalen alterne les points de vue : il y a Jeanne qui reste et attend le retour de celui qu'elle aime; César qui ira jusqu'en Inde et dans la Mer du Bering, comme si les kilomètres pouvaient favoriser l'oubli; Elma, leur fille, qui prendra un jour conscience qu'elle n'est pas vraiment celle qu'elle croyait être.

Dans un style très simple et épuré, Marie-Hélène Westphalen, effeuille les non-dits et ces silences qui prennent tant d'espace. La narration, volontairement lente, laisse les émotions s'enfler et envahir les lignes. Mais l'auteur a la délicatesse de ne jamais tomber dans le pathos. Grâce à cette économie des mots, elle reste dans la pudeur et la discrétion indispensables à ce type de récit.
En lisant cette histoire, j'avais en tête les mots de Brel, qui s'accordent parfaitement à ce récit: "Il y a eux sortes de temps, y a le temps qui espère et le temps qui attend. Il y a deux sortes de gens: il y a les vivants, et ceux qui sont en mer".

Extrait :

9 septembre 1970, un an déjà...
Ces mots pour toi, pour moi, pour ne pas tomber.
C'est le brouillard ce soir, un brouillard épais, tu es à un bout du labyrinthe, moi à l'autre, on ne sait pas comment se rejoindre, on ne se voit pas. On est trop éloignés pour s'entendre, je te cherche malgré tout. J'écris moins pour dire que pour voir, pour discerner au loin ta longue silhouette.
Ici c'est le néant. J'écris pour ne pas parler au plafond, pour ne pas claquer les portes ni râper les murs, j'écris pour me rapprocher, tendre le bras et te sentir encore. Toi le géant tu te pencheras légèrement, tu ouvriras tes bras, moi je me hausserai sur la pointe des pieds, je m'abandonnerai, je te livrerai ma nuque, mes seins, ma fatigue.
Dans la solitude de la nuit, j'aimerai que tu sois là.
Non, je ne serais pas exigeante, je te le promets, je ne te poserais aucune question, je me coucherais juste près de toi, tout me serait cadeau. Je me loverais entre tes jambes, j'écouterais ta respiration, je m'approcherais si tu m'appelais, sinon je te regarderais dormir, ou fumer, ou rêver. Nous parlerions ou nous nous tairions, tout serait égal dès l'instant que tu serais là.
Quand sonnera l'heure, je serai la main qui donne, la main qui prend, toi tu tendras les bras et nos jambes s'enlaceront. Nous réinventerons les gestes d'autrefois, nous en trouverons d'autres. Sur mes lèvres tu guetteras ce parfum d'amande amère, j'aurai peut-être la tentation de baisser les yeux. Regarde-moi, diras-tu alors, ne quitte pas mes yeux. Ensemble nous embarquerons dans le tumulte et les cris, nous chavirerons, puis nous dormirons apaisés, lune et soleil. Tranquilles. Plus tard nous recommencerons, nous volerons le temps.[...]
Au lieu de cela, la nuit je marmonne en silence et j'écris. Le matin dans la vitre je vois mes jambes qui vacillent : comment vivre d'absence?

couverture
Éditions Albin Michel - 267 pages