Alors que le français est une si belle langue, les journalistes, ministres, publicitaires etc... prennent semble-t-il un malin plaisir à codifier leurs messages. En gros pourquoi dire les choses simplement quand on peut les compliquer inutilement?

Roger est donc l'archétype du français moyen, perdu au milieu de tout ce jargon : Du restaurant, où le croque monsieur devient un Duo d'épaule de porc et d'émincé jurassien sur son canapé façon ma-mie, à la petite annonce immobilière, où Dble-vitr cache un appartement donnant sur un boulevard très bruyant, Chifler décode pour nous ce langage un peu étrange.
Et tout y passe. Du plus anecdotique (le langage de banlieue, les sigles, le cybercafé, l'œnologie ou encore la féminisation des mots) au plus inquiétant (comme les circulaires ministérielles de l'Éducation Nationale ou le répertoire des métiers de l'A.N.P.E.). Mais le plus édifiant est que Jean-Loup Chiflet n'a rien inventé ! Ce livre est en fait une compilation de termes qu'il a malheureusement trouvés au hasard de ses déambulations de citoyen.

On se rend compte que tous ces gens-là se gargarisent de mots et tournures barbares, volontairement incompréhensibles; que la forme et le paraître revêtent plus d'importance que le sens qu'ils véhiculent. Quand les Français marchent sur la tête !

Les illustrations de Cabu accompagnent parfaitement les tribulations de ce pauvre Roger.

Évidemment, je mets en extrait un passage qui me paraît tout à fait approprié à ce blog et qui symbolise tout ce que je déteste dans les magazines littéraires. ;)

Extrait :

Où Roger, attablé à la terrasse d'un café "germanopratin" découvre les subtilités de la critique littéraire

- Mais je te dis que c'est un auteur qui réinvestit nos territoires en herbe grâce à un style revisité par une douceur archaïque et charnelle venue du fond des âges et accomplit, ce faisant, une plongée dans notre silo à fantasmes. C'est un solide mystique chez qui il y a une bonne dose de paganisme soldatesque et il signe un texte frémissant comme la tunique du Christ, roucoulant comme la pierre du narthex, léger comme un vol de freux dans la plaine du Morvan.
- Moi, je dirais plutôt que c'est une véritable leçon de ténèbres, où, engloutis dans un maelström de peur, les personnages échappent aux conventions d'un genre trop souvent manichéen. Mais de ces noces sanglantes sorties de la palette d'un Bruegel surgit, c'est vrai, un récit pris dans une spirale incandescente et disloqué dans la lumière d'un André Delvaux, d'où émergent des visions aussi déformées que les toiles d'un Francis Bacon. Ça n'est pas sans rappeler le récit de Théramène, la dérilection de Faulkner et ça vous exhale un parfum de poivre, l'histoire contenant le cosmos dans sa marge et entre ses lignes. Il y a là des accents murdochiens propres à susciter des réminiscences d'une adolescence douloureuse qui ne parviendrait pas à accomplir sa mue.
Le pauvre Roger commençait à se prendre la tête entre les mains pour mieux se concentrer sur "la prose hoquetée, le rythme incantatoire des litanies de ces nouvelles, comme autant de lianes épineuses qui s'agrippent à la bâtisse lézardée, fissurée de notre enfance fantomatique où les murmures de nos rêves décapités par le temps résonnent comme les psalmodies plaintives d'une prière qui se noie dans la liturgie du ciel".
- Ah ! Qu'il est cosmique, torrentiel, luxuriant, le roman de ce chantre labyrinthique et forestier qui s'exprime dans une langue d'une frénésie rythmée, évoquant avec un bonheur contagieux les tam-tam d'une Afrique enfin libérée de ses archaïsme rétrogrades.
Non, décidément, Roger n'en croyait pas ses oreilles entre "cette écriture hypertendue comme la corde d'un arc" et "cette écriture polaroïd qui dans la fadeur de notre prose chlorotique saura réjouir les amoureux de la langue et de ses distorsions syntaxiques".

NDLR - Ce texte a été réalisé à partir de "morceaux choisis" de critiques littéraires glanées dans certains magazines.

couverture
Éditions Mots et Cie - 87 pages