Ce tome du Journal marque des moments importants : la mort du père et de la mère, le premier retour à Paris après la guerre, une certaine résignation face au fait d’être reconnue comme auteur, etc.

Le plus étonnant dans la lecture de ce tome, surtout si on le lit tout de suite avant ou après un des tomes de la jeunesse (le plus succulent dans la lecture d’Anaïs Nin, c’est de faire fi de la chronologie), c’est l’ampleur de la similitude et des changements. On voit là, concrètement, ce que c’est que de vieillir. On sent une sérénité plus grande, une énergie moins adolescente, moins éparpillée, et pourtant des traces de névroses encore très claires.

Autre aspect frappant, Anaïs Nin tiendra son journal toute sa vie mais le style change. Autant à trente ans elle écrivait tous les jours, frénétiquement, à chaque heure, notant la moindre saute d’humeur, autant elle écrit maintenant sur une base moins fréquente. Certains passages sont donc à l’imparfait. Déjà des souvenirs d’il y a quelques mois. Comme si un détachement c’était opéré, même si le besoin de se raconter demeure.

Quand on lit Anaïs Nin on s’attache, et on apprend ce qui d’elle nous attire, ce qui nous repousse. Son regard sur le monde, sur la psychologie, est d’une acuité hallucinante. Des pages de ce journal sont carrément anticipatoires. D’autre part, tout son dialogue avec les marxistes qu’elle trouve trop préoccupés par la structure et pas assez par le cheminement de l’individu jure avec notre époque où, au contraire, plus personne ne s’intéresse aux questions structurelles. Par contre, faites-la taire quand elle se plaint de sa non reconnaissance, tellement convaincue de son talent qu’elle refuse le jugement des maisons d’éditions qui lui renvoient ses romans. Dans ces pages-là je la trouve insupportable.

Cela peut sembler un choix étrange mais je vous offre un extrait écrit par Jim, le grand ami d’Anaïs à l’époque, qu’elle a recopié dans son Journal.

Du même auteur : Inceste

Par Catherine

Extrait :

Hier, dans la pièce, Anaïs entre le soleil et moi. La chevelure illuminée, la fumée de cigarette s’élevant tout autour, grise, et puis bleue comme un rêve. Je voulais me lever et traverser la fumée pour explorer, toucher sa main. Je vois, d’après son Journal, que je ne suis pas le seul à la trouver irréelle : tout le monde l’a vue de cette manière, comme si on n’osait sourciller de peur que… pffft ! Cela fait partie de sa beauté, cette manière de ne pas être là tout à fait, comme un rêve. Je m’en aperçois moins maintenant parce que notre amitié est humaine, plus forte, et qu’elle a une fibre dans la réalité, mais, à des moments comme ceux-là, je vois l’aspect essentiellement spirituel.
Anaïs ne sera jamais maîtresse des formes artistiques. Cette faille est le prix que paient ses romans, en échange de la parfaite intégration de l’art et de la vie réalisée dans le Journal. Où est la forme dans le Journal ? La vie ? La vie est la grande œuvre. Sa solidité est dans la personne, pas dans l’artiste. L’unité du Journal est créée par la personne, pas par l’artiste. L’unité du Journal est dans la personne, pas dans l’artiste. Il y a une lumière brillante, superélectronique, la personne, aveugle de naissance, qui travaille à une seule chose, abattre les murs, supprimer les voiles, les écrans, les rideaux qui obstruent la lumière.
L’art d’Anaïs Nin est l’art de l’improvisation, son éclat et sa beauté, le résultat de moments de jazz, dans un monde de vision parfaite.

couverture
Éditions Livre de Poche - 383 pages