Les questionnements spirituels et la recherche de sens sont probablement les fils conducteurs de ces neufs nouvelles. Difficiles de les positionner dans le temps, plusieurs nouvelles se déclinent en souvenirs d’enfance. On imagine facilement être dans un Québec révolu depuis quelques décennies déjà et où la présence du religieux tapissait davantage la vie quotidienne. Peut-être fin des années 60, début des années 70. Et pourtant l’édifice s’ébranle et Sylvain Trudel nous le fait bien sentir. Ce recueil est peut-être justement témoin de cet effondrement de valeurs et la suite ne semble pas toujours très gaie.

Il s’agit d’un ouvrage à la fois assommant et éreintant. Comme un smash en plein visage qui vous laisse l’âme courbaturée. Il y a là un humour grinçant qui fait mal de faire sourire. Il y a là une richesse de style et de vocabulaire qui permettrait de multiples lectures successives. Il y là un portrait des misères diverses. On en sort saisi, souvent ému (et oui, encore une larme dans le métro !) mais aussi un peu à bout de souffle.

Il y a beaucoup d’intensité, mais peu de lumière et de légèreté dans cette mer de la tranquillité. L’espoir naît dans certaines relations d’entraide et de soutien spontané qui percent ici et là, mais même celles-ci semblent s’obstiner à n’avoir aucun lendemain.

Je ne conseillerais pas ce livre à ceux et celles qui sont rebutés par une certaine préciosité de vocabulaire ou par les élans philosophiques et intellectuels. La plume de Sylvain Trudel est très poétique mais ne plaira pas à ceux que les entrelacs de style déconcentrent du récit. Pour ma part, bien que la nouvelle ne soit pas mon style préféré, j’ai vraiment été estomaquée par ce talent que je ne connaissais pas. (Quelques étoiles supplémentaires pour la nouvelle titre et pour Du camphre en talisman qui m’a particulièrement émue). Et je cours bientôt chercher les romans du même auteur.

Du même auteur : Le souffle de l'harmattan et Du mercure sous la langue

Par Catherine

Extrait :

Le midi, la vie n’était pas ailleurs, mais juste là, autour de nous, à la portée immédiate de la main, et nous n’avions plus envie d’aller à l’école pour mémoriser le nom des fleuves et des montagnes, pour ânonner sans les comprendre les versets de la Bible et les alexandrins de La Fontaine qu’on nous serinait, pour graver dans notre mémoire les dates de toutes les guerres. Hélas, l’heure sonnait et nous poussions de gros soupirs.

Un jour, Alain dit à notre mère : «J’aimerais ça rester ici, tout le temps, tout seul avec toi.
- Oh non ! Tu vas aller à l’école avec ton frère, toi, sinon tu vas finir dans les ruelles avec les vagabonds.»

À ces mots nous allons enfiler nos tuques de laine à pompons rouges, nos manteaux élimés, nos bottes de loup-marin aux ganses flottantes et nos mitaines rapiécées, puis une sempiternelle goutte de morve nous pendillant au nez comme une cédille, nous repartons pour l’école avec notre mélancolie au cœur et un fruit fané d’hiver dans la poche.

La mer de tranquilité
Éditions les Allusifs - 186 pages