Nous sommes à Montréal au début des années 80. Bernard Pion est un écrivain qui gagne sa vie en faisant de la correction d’épreuves dans une maison d’édition. Un soir, il se laisse traîner dans une remise de prix où, ayant trop bu, il s’en prend à un critique littéraire particulièrement prétentieux. C’est dans ce trop plein d’alcool qui s’exprimera par une montée incontrôlable de bile que commence cet insupportable voyage qui mènera Bernard Pion, et nous avec lui, au cœur d’un enfer version intime, une «toute personnelle fin du monde» pour citer le chanteur Michel Rivard. Nous y croiserons sa copine Liliane, son ami Raoul, les souvenirs de son enfance, sa quête pour retrouver le grand oncle Émilien et surtout les dédales de ce qui se cachait dans la boîte de Pandore de son inconscient.

Gilbert La Rocque est un auteur québécois mort prématurément au début des années 1980 et qui est méconnu malgré que ses romans aient été salués par ses contemporains (Marie-Claire Blais et Victor-Lévy Beaulieu au premier chef). Le passager était son sixième roman paru juste avant sa mort en 1984. Je dois dire qu’il s’agit d’une grande découverte. Il est en effet étonnant qu’une plume d’une telle envergure soit à ce point tombée dans l’oubli.

Il ne s’agit pas d’un ouvrage facile d’accès. Moi qui n’aime pas les écrits aux phrases interminables, j’ai été servie. Mais là je dois dire que la forme appuie tout à fait le propos et que ces pages sans ponctuation soulignent l’aspect à-bout-de-souffle de la dérive de Bernard Pion. Je suis passée par-dessus ma première aversion pour finalement me laisser submerger par ce récit insupportable. Entendons-nous, c’est insupportable à la hauteur du talent de Gilbert La Rocque ! Un roman psychologique dans le sens le plus fort du terme où les liens subtils entre conscient et inconscient sont mis à jour. À chaque page j’ai eu l’impression de me noyer avec le personnage principal quitte à devoir abandonner la lecture parfois pour retrouver mes repères de vraie vie et me rassurer quant à mon propre contrôle sur le cours de mes jours.

Un grand talent donc, une grande découverte, mais il faut être solide avant de s’y frotter !

Par Catherine

Extrait :

À vrai dire, il n’y pensait plus très souvent… Le souvenir de cette sale histoire lui fichait parfois la paix durant des mois, puis, subitement, sans raison apparente, la mécanique infernale se déclenchait toute seule et tout lui sautait en pleine face… Une sorte de spasme de la mémoire, on aurait dit – en tout cas, quelque chose se décollait bel et bien du fond de lui et se mettait à grouiller, des cellules de temps mort venaient crever comme des bulles à la surface d’une lac empoisonné, et il pouvait distinguer les images d’autrefois, la cage et l’oiseau jaune, sa chambre d’enfant avec sa fenêtre donnant sur les hangars de tôle ondulée, les escaliers de bois gris et les cordes à linge de la ruelle, il entendait nettement la voix aiguë de sa mère qui à bout de nerfs criait dans la cuisine où ça puait le beurre en train de brunir dans la poêle, et il voyait surtout son père qui rentrait du travail et qui titubait dans le corridor et heurtait les murs en rotant sa bière puis disparaissait dans le salon, dans l’obscurité grasse du salon où il faisait tinter les bouteilles…

couverture
Éditions Typo - 224 pages