Le roman original est paru en 1993. En 2002 paraît cette deuxième édition issue d’un parcours de l’auteur visant à retourner sur ses pas et à rectifier le dire [ce lapsus est trop excellent, je vous le laisse]. Le quatrième de couverture nous apprend qu’il s’agit vraiment d’un nouveau livre, les ajouts étant si nombreux que le livre a presque doublé de volume.

Ce «roman» raconte l’histoire d’un «écrivain nègre» vivant à Montréal et qui décroche un contrat lucratif pour faire un reportage sur l’Amérique dans un grand magazine. Il part à la découverte des Etats-Unis et note ses impressions, sur lui-même, sur la gloire découlant du titre inoubliable de son premier roman, sur les rapports inter-raciaux surtout. Il développe son propre regard sur les différences raciales qu’il présente comme centrales à la société américaine.

Premier commentaire : ce livre n’est pas un roman. En fait il faudrait arrêter de dire que Dany Laferrière écrit des romans. Ce sont en fait des ouvrages hybrides entre le journal, l’essai philosophique et sociologique, l’autofiction, le conte et le journal de voyage. Quelqu’un qui entre dans cet univers cherchant la structure narrative du roman peut être déçu. Dany Laferière a écrit plus d’une dizaine d’ouvrages qu’il qualifie lui-même d’autobiographie américaine. Il connaît bien les Etats-Unis, les a parcouru, y a vécu. Ce livre augmenté ajoute à l’acuité de son regard une connaissance approfondie d’un pays qu’il respecte, malgré tout… Mais ce n’est pas un roman !

Un aspect intéressant de cet ouvrage est le choc entre Dany Laferrière qui constate l’évolution de la situation des Noirs en Amérique et plusieurs autres artistes et citoyens noirs qui se sentent toujours en lutte, qui maintiennent que rien n’a changé. Ce dialogue entre frères prend une place très importante dans la deuxième partie de l’ouvrage et soulève des questions intéressantes et importantes.

J’ai préféré ce livre à Pays sans chapeau dont je vous avais parlé il y a quelques semaines, mais ça reste un ouvrage hirsute. Dany Laferrière semble écrire comme il parle, par impulsivité, passion, premier jet. Les fils conducteurs ne connectent pas toujours, mais chaque réflexion s’inscrit quelque part en nous et y fleurit. Ou y explose.

Ça dépend s’il s’agissait d’une arme ou d’un fruit…

Par Catherine

Du même auteur : Pays sans chapeau, Journal d'un écrivain en pyjama.

Extrait :

Ceci n’est pas un roman. Je le dis en pensant à Magritte dessinant une pipe et écrivant en légende : «Ceci n’est pas une pipe.»
J’écris ce livre avec des notes prises sur le vif, un peu partout en Amérique du Nord. Dans un train en direction de Vancouver avec cette grosse femme, en face de moi, qui n’a pas arrêté de me dévisager durant tout le trajet, croyant que je faisais son portait (ce qui était vrai d’ailleurs). Dans un autobus filant vers le Sud (Kew West), un vendredi ensoleillé… et la mer terriblement bleue des deux côtés de ce pont interminable. Dans ce restaurant végétarien de San Francisco où je n’ai rien mangé à cause de cette microscopique chose graisseuse restée au coin de la bouche de cette longue fille assise à trois tables de moi, sur la gauche. Dans un taxi, à la sortie d’une discothèque de Manhattan, à trois heures du matin (on cherchait désespérément des bagels). Dans les toilettes du Shed Café (un bar branché de Montréal, sur le boulevard Saint-Laurent, fréquenté par de jeunes comédiennes aux seins métalliques qui vous lancent des clins d’œil au laser) avec cette fille aux cheveux verts qui chialait parce qu’elle n’arrivait pas à trouver la bonne veine pour se foutre toute la merde dans le corps. En Amérique, on bouge sans cesse. L’espace américain est une invitation à la vitesse.

couverture
Éditions du Serpent à plumes - 436 pages

Du même auteur : Pays sans chapeau