Quelle joie cela donc été de relire cet auteur emblématique pour moi !! Avec La porte bleue, Brink ne nous replonge pas dans cette période plus que sombre de l’Afrique du Sud. Que nenni ! En ouvrant cette porte, vous entrez dans un monde étrange, fait de rêves ou d’hallucinations. Je vous préviens de suite. A. Brink maîtrise à ce point les mots que vous êtes à la torture tout au long de votre lecture. Vous le suivez à la lettre et vous en redemandez encore et encore. La frontière entre le réel et le rêve, le cauchemar même, la montée du désir, les jeux de la mémoire comme une boite à multiples tiroirs…., tout cela est décrit de façon extraordinaire.

Que je vous parle un peu de l’histoire tout de même ! Il s’agit de suivre David, un homme marié, sud-africain, prof de langues et d’histoire qui hésite encore à passer définitivement le cap et devenir peintre à plein temps. Surtout que le succès de son travail se développe de plus en plus. Il est marié de longue date avec Lydia, une femme blanche et architecte, et n’ont malheureusement pas eu d’enfants.

Un jour, David se rend dans le cottage qu’il loue comme atelier. C’est surtout un endroit où il souhaite conserver une part d’intimité. Son jardin secret où personne ne peut venir. Rien de bien extraordinaire me direz-vous. Soit.
Mais ce jour-là, alors qu’il s’apprête à entrer, la porte bleue de cet atelier s’ouvre sur le visage avenant d’une femme noire et de deux petits enfants métis. David, ne comprend pas comment ces personnes ont pu s’introduirent dans son antre alors qu’il ne les connaît pas. Elles semblent pourtant faire partie de sa vie.

En treize chapitres, nous marchons à la suite de David dans ses souvenirs, ses douleurs, sa vie, ses désirs et les femmes qu’il a connues. L’intrigue est dirigée de main de maître. Je vous dis, c’est une vraie torture !! Mais aussi un vrai régal à lire.

Lecteurs, vous voilà prévenus. Comme dans l’Enfer de Dante : Abandonne tout espoir, toi qui pénètres ici ; si vous passez cette porte bleue… vous n’en ressortirez marqués par André Brink.

Du même auteur : Au-delà du silence

Dédale

Extrait :

Par précaution, je retourne à la porte d’entrée, où tout a commencé hier. J’hésite, la main sur la poignée – que je finis tout de même par tourner. Je suis oppressé, torse enfoncé. La porte s’ouvre. L’extérieur est bien du bleu foncé dont je l’ai peint à l’origine, en tout point semblable à ce qu’il est depuis plusieurs années. L’endroit où la peinture s’écaille, les deux égratignures parallèles près de la serrure… Je me rappelle l’exaltation avec laquelle je l’ai peinte. Ma déclaration d’indépendance. Ma porte. Mon espace. A moi, à moi seul. L’endroit où je pourrais faire tout ce que je voudrais sans que personne d’autre (pas même pas femme) sache où j’étais ou ce que je faisais. Je me rappelle comment je me suis attaqué à la surface (un marron ordinaire, ennuyeux, le genre de marron qu’on utilisait à l’époque dans les administrations) : je la couvris de coups de pinceau sauvages, effrénés, lancés dans toutes les directions. J’imaginai des visages, des formes, des animaux, des silhouettes humaines émergeant, inconnus, des mystérieuses profondeurs outremer, apparaissant, disparaissant, changeant, mutant. Et tout cela était mien. Comme je l’ai dit, c’était avant que Lydia ne vienne m’y retrouver et ne colonise mon espace.
A l’intérieur. Je referme la porte derrière moi méticuleusement. Et me dirige d’abord vers la chambre principale. Tout est encore là. Les vêtements épars par terre, l’armoire, la porte entrouverte, le lit aux draps froissés. Auprès duquel je me mets à genoux ; puis je repousse les couvertures et m’enfouis la tête dans les draps. Ils ont gardé une vague odeur de corps, de sexe, de nous. A moins que je ne sois en train de tout imaginer ; à moins que je n’aie tout imaginé.

couverture
Éditions Actes Sud - 128 pages