Un tiroir de sous-vêtements féminins. À l'intérieur, un diamant, un cahier bleu et un pistolet.
Le pistolet, la narratrice l'a trouvé abandonné dans un parc. Elle ne sait pas très bien pourquoi elle n'a pas pu s'empêcher de le ramasser pour le rapporter chez elle. Mais qu'en faire à présent? Le donner à la police.... oui, éventuellement. Ce serait la solution la plus sage.
Et si elle le gardait?

Dans son cahier bleu, cette femme qui approche la cinquantaine, livre ses doutes et ses angoisses. Avant la découverte de l'arme, son existence était vide, ennuyeuse. Peu à peu, toutes ses pensées vont se concentrer autour de ce revolver.

Dès le début de son récit, Luce Delobre use d'un phrasé court, direct. La narratrice, un peu dépassée par sa propre vie, nous apparaît immédiatement sympathique et l'auteure a eu la finesse de lui donner de la consistance en dehors de l'intrigue proprement dite. Ses affres de biographes, son regard sur la personne dont elle doit raconter la vie, sont très touchants.
Arrivée au deux-tiers du livre, je me demandais pourtant où voulait en venir Luce Delobre... Je lisais ma foi un roman intimiste d'une facture assez classique dans lequel la protagoniste se regarde un peu le nombril.
Quand tout à coup, le rythme change et s'affole. On quitte la sage narration pour une envolée totalement loufoque. Il y a un cynisme et un humour noir loin de me déplaire. J'aime cet emballement, cet espèce de huis-clos infernal. Enfin bref, prise dans ma lecture, je tourne la page....

.... et me retrouve face à une grande étendue blanche.
Les feuillets se seraient-ils collés les uns aux autres? Aurais-je sauté une page?
Je vérifie. Non. En bas de la page précédente, c'étaient bien les derniers mots du Journal d'une étourdie que je venais de lire... Et là, je reste perplexe...
Étourdie au point d'en oublier de finir son récit? En tout cas, pour le coup, je suis clairement restée sur ma faim/fin....
Étrange....

Extrait :

C'est drôle, depuis hier, je ne sens plus ma vie comme d'habitude. Quelque chose a changé, comment dire... dans mon état de conscience, ma sensation dur réel. Comme s'il s'était produit un déclic, un léger basculement qui en modifie l'éclairage. Tout le décor est à remettre en place, un peu comme au retour de longues vacances. Mon espace familier s'est détaché de moi, il m'ignore. C'est arrivé d'un coup, oui, quand je suis rentrée à la maison avec l'arme sur moi. J'ai pensé que c'était l'émotion, que ça allait s'estomper. Mais non, au contraire. Je n'aurais pas dû la prendre. Si j'allais la remettre où je l'ai trouvée?
Non, ce serait stupide. La conduite à tenir est simple, c'est celle d'un adulte normal, responsable. À toute situation correspond une logique. Dans un cas comme celui-ci, on s'adresse aux autorités compétentes. Il y a des gens payés pour prendre en charge ce genre de problème. Et on s'en lave les mains, c'est l'avantage.

À propos de mains, j'ai pris soin jusqu'ici de ne le toucher qu'avec des gants. S'il y a une enquête, autant ne pas risquer d'effacer par les miennes les empreintes qui s'y trouvent. On y pense rarement quand on manipule un objet quelconque. On mêle ses trace à celles des autres, des inconnus pas toujours propres, peut-être même un peu poisseux d'âme ou de corps. On dépose à son tour un dessin infime, singulier, une signature qui s'ajoute à d'autres signatures. Une simple image abstraite, indécelable à l'œil nu, mais chargée de sens. Empreintes, groupe sanguin, ADN, l'idée que mes cellules soient des codes à déchiffrer m'a toujours un peu agacée.

Je ne me suis pas encore décidée à y aller, je me demande pourquoi. Je ne suis pas coupable d'avoir trouvé ça sur mon chemin. Jusqu'ici, je n'avais même pas encore songé à m'en servir. Voilà, c'est fait. J'ai osé m'imaginer un instant en train d'appuyer sur la détente. Pour viser qui? Il y a plusieurs options, mais il est évident que je serais incapable de passer à l'acte. Du moins, je crois.

couverture
Éditions Gallimard - 89 pages