Il s’agit d’un essai dans le champ de la littérature mais avec une approche clairement psychanalytique. Bayard souligne d’entrée de jeu que l’écriture de ce livre vise à nous outiller lorsque nous nous trouvons dans l’obligation de parler d’un livre que l’on n’a pas lu. Il faut mettre au clair qu’il ne s’agit pas d’un guide et je n’ai lu nulle part les conseils simples qu’il promet en introduction. Mais ce livre risque de définitivement vous déculpabiliser.

lI s’agit d’un ouvrage qui tente de faire l’apologie de la non-lecture en soutenant qu’il n’est pas évident de définir ce qu’est la lecture (est-ce que je peux dire d’un livre dont j’ai oublié l’essentiel que je l’ai lu ? si j’ai feuilleté un livre l’aies-je lu ? si j’ai lu tellement de commentaires sur ce livre qu’il me semble l’avoir lu, est-ce si grave ?). Partant de là, l’auteur détermine six concepts fondamentaux qui sont l’ossature de sa démonstration :

Bibliothèque collective : Ensemble de tous les livres déterminants sur lesquels repose une certaine culture à un moment donné.
Livre-écran : Concept basé sur le souvenir-écran de Freud et qui revient à dire que les livres dont nous parlons ont peu à voir avec l’objet réel et sont en fait des objets de substitution.
Bibliothèque intérieure : Ensemble de livres – sous-ensemble de la bibliothèque collective – sur lequel notre personnalité se construit et qui organise notre rapport aux écrits.
Livre intérieur : Ensemble de représentations mythiques, collectives ou individuelles qui façonnent toutes nos lectures à notre insu, par exemple une certaine notion de la fidélité ou des relations familiales.
Bibliothèque virtuelle : L’espace oral ou écrit de discussion des livres, c’est la rencontre des bibliothèques intérieures au sein de la bibliothèque collective.
Livre-fantôme : Objet insaisissable et mouvant que nous faisons surgir dès que nous parlons ou écrivons à propos d’un livre, il est le fruit de l’addition de nos différents livres-écrans qui eux-mêmes se construisent à partir de nos livres intérieurs.

Pour démontrer son point, Bayard se base sur une série de livres et d’auteurs (Eco, Proust, Balzac, etc.) qui ont tous mis en scène de la non-lecture ou en ont discuté (Montaigne, Wilde et autres). Il utilise d’ailleurs une très rigolote notation qui permet de savoir s’il a lu ces livres, en a entendu parlé, les a parcouru, et la valeur qu’il leur accorde malgré sa connaissance parfois sommaire de ceux-ci.

Étant une férue de psychanalyse et assez habituée à ce langage, ce livre m’a beaucoup intéressée. Il m’a fait soulever des questions par rapport à l’acte de lecture et à son impossible objectivité. Je pourrais reprocher à l’auteur d’exagérer parfois, poussant sa thèse inutilement trop loin et détournant les exemples à son profit. Par moment il m’a semblé que ces excès n’aidaient pas le propos qui en lui-même est moins excessif qu’il n’y paraît.

J’ai donc apprécié cette lecture, j’ai souri en reconnaissant nos travers et nos hypocrisies. J’ai même eu envie de devenir fière de savoir discourir sur des livres que je n’ai pas lus mais que je sais très bien mettre en lien avec le reste de la bibliothèque collective.

L’occasion n’est pas encore venue ! Je lis beaucoup trop !

Par Catherine

Du même auteur : L'affaire du chien des Baskerville.

Extrait :

Tout autant que Musil, Valéry incite à penser en termes de bibliothèque collective et non de livre seul. Pour un vrai lecteur, soucieux de réfléchir à la littérature, ce n’est pas tel livre qui compte, mais l’ensemble de tous les autres, et prêter une attention exclusive à un seul risque de faire perdre de vue cet ensemble et ce qui, en tout livre, participe à une organisation plus vaste qui permet de le comprendre en profondeur.
Mais Valéry nous permet aussi d’aller plus loin en nous invitant à adopter cette même attitude devant chaque livre et à en prendre une vue générale, laquelle a partie liée avec la vue sur l’ensemble des livres. La recherche de ce point de perspective implique de veiller à ne pas se perdre dans tel passage et donc de maintenir avec le livre une distance raisonnable, seule à même de permettre d’en apprécier la signification véritable.

couverture
Éditions de Minuit - 164 pages