Ce n’est pas le premier écrit que je lis de Serge Rezvani. Après Fous d’échec et Le magicien ou l’ultime voyage initiatique que j’avais fort appréciés, ma curiosité a été piquée quand j’ai appris la sortie de ce récit : Au bonheur des sphères, extrait de La table d’asphalte. Autant dans ces premières lectures, j’ai été attirée, fascinée parfois par l’intelligence de ses idées, cette sorte de philosophie, la fiction simple à appréhender. Un auteur qui amène à la réflexion. Mais avec Au bonheur des sphères, on tombe dans un espace totalement différent. La surprise a été totale !!
Je ressors de cette lecture avec un sentiment indéfinissable. Un mélange étrange de sentiments très divers : un profond dégoût pour le sort vécu par les personnages féminins, mais aussi moult interrogations.
Je ne peux être que choquée par la passivité de ces filles face à leur traitement - parlons franc, leur viol - leur soumission totale à la domination, la brutalité physique, psychologique des hommes qu’elles ont eu le malheur de croiser lors d’une fête foraine. Je ne peux qu’être ulcérée vis à vis du comportement de ces mâles… et même des propos entendus par les enfants et qu’ils régurgitent sans vraiment comprendre ce qu’ils disent.
Les filles disent non mais on ne les écoute pas. Surtout leurs actes ne corroborent pas leur volonté. Mais ont-elles réellement une volonté de résister à leur sort ? Qu’a voulu montrer l’auteur par cette histoire, par cette façon de présenter cette dictature du désir ?
La plume de Rezvani est toujours aussi soignée, travaillée. À mon sens, cela accentue l’impact de ses mots, celui de cette histoire. Je suis dérangée, perturbée par ce récit. Où est le bonheur dans cette rencontre ? Où est l’amour pourtant annoncé à la quatrième de couverture ? Je ne l’ai pas trouvé. Ou alors, je ne dois pas en avoir la même définition.
Étrange lecture donc, car il n’est pas évident de dire que l'histoire, le comportement des personnages est, à mon goût, écœurant, tout en restant positive sur le style de l'auteur. J’ai dû passer à côté du sujet, prendre trop ce récit au premier degré. Je ne sais. Quelque chose m’a échappé !
Dédale
Dès les premières lignes, l'auteur nous plonge dans un univers brutal et rapide. Il n'y a semble-t-il aucune introduction, et nous voilà aux côtés de Stella et Vanina dans la fureur d'une fête foraine.
L'écriture est âpre, rugueuse, et provoque un certain malaise chez le lecteur. Nos deux jeunes filles font rapidement connaissance d'une bande de garçons avec lesquels, elles vont se payer un tour Au bonheur des sphères, l'attraction du moment.
En voyant apparaître Petit Louis et Sudre, une autre image m'est venue instantanément à l'esprit : Alex DeLarge et ses copains d'Orange mécanique. Je ne me doutais pas alors que cette association serait à ce point pertinente.
Pendant une dizaine de pages, qui semblent plus longues que l'éternité, Rezvani décrit, avec moult détails, ce qu'il convient d'appeler des viols.
C'est insoutenable, tant l'auteur pousse à l'extrême la précision des descriptions. Quoiqu'en y réfléchissant bien, je crois que c'est la poésie de certaines phrases au milieu de ces abjections qui m'a le plus dérangée.
Dans la seconde partie du récit, on suit Vanina et Petit-Louis qui tentent de s'aimer dans toute cette désolation. Ils sont observés en secret par deux enfants qui désirent connaître les choses du sexe.
Quel récit !!
60 pages seulement, mais 60 qui paraissent bien plus longues tant l'auteur ne nous épargne rien.
Paradoxalement, la violence la plus forte ne réside pas ici dans les actes, mais dans le renoncement et l'acceptation résignée de l'horreur.
Et pourtant, je ne saurai trop conseiller la lecture de ce roman, car il ouvre les chemins de la réflexion et de la discussion. Dans un monde où tout est toujours plus violent autour de nous, Rezvani nous choque, nous bouscule et nous force à nous poser les bonnes questions.
Par Laurence
10/07/2007
Extrait :
L’un après l’autre les couples se détachèrent de la paroi d’acier et, face à face, se tenant par la main comme s’ils dansaient, ils commencèrent à flotter avec des lenteurs de rêve. Petit-Louis et la Noir riaient. Les doigts enlacés, tournant sur eux-mêmes, ils se retrouvèrent la tête en bas. Un peu sur leur gauche, Sudre et la Blanche dérivaient ; elle remuait la tête en tous sens et des larmes faisaient briller ses yeux de poupée. Un peu plus haut, les marins et les filles se déplaçaient à l’envers, suspendus en grappe ; une des filles semblait en proie à une crise de nerfs : elles se tordait sur elle-même, recroquevillée en l’air cependant que les autres la tenaient pour l’empêcher de venir se heurter aux parois. Autour de son visage révulsé, des larmes et de la salive flottaient comme des gouttes de rosée.
Et brusquement ce fut le noir absolu, épais comme un velours. Dans le hurlement de la turbine, Petit-Louis et Vanina la Noire s’enlacèrent et restèrent fortement pressés corps contre corps, hors lieu, hors temps, presque hors existence ainsi que deux ultimes parcelles de vie suspendues. Sudre voulut attirer Stella mais elle se débattit et leurs doigts se lâchèrent. Isolés maintenant dans le vide ils dérivèrent l’un à côté de l’autre sans réussir à ses rejoindre. Quelque part au-dessus, le groupe de filles et de marins tournait en suspension. Les hurlements de la turbine devinrent insupportables, et tous commencèrent à crier sans savoir qu’ils criaient. Vanina posa ses mains sur la nuque de Petit-Louis ; leurs lèvres puis leurs langues se touchèrent et, dans les stridences de la turbine, ils comprirent qu’ils criaient l’un dans l’autre dans une sort de baiser confus…
Éditions Actes Sud - 64 pages
Commentaires
mardi 26 juin 2007 à 10h54
Ouch ! Ce livre est vraiment très fort... J'ai moi aussi eu le souffle coupé face aux propos qu'il soulève. Je vous en reparlerai d'ici peu
mardi 26 juin 2007 à 18h11
Je n'ai lu que "L'Enigme" de Rezvani, dont le style et le fond n'ont pas non plus manqué de me surprendre... Donc: je note ce titre! Merci!