Joie est un OSNI (objet scénique non-identifié) créé par Pol Pelletier la grande dame du théâtre féministe et expérimental au Québec. Cet OSNI a d’abord été présenté à la demande de la galerie Dare-Dare à Montréal en 1990 sous le nom «Les femmes, l’art et la joie». Je me permets de dire OSNI au lieu de le nommer pièce de théâtre parce qu’il s’agit à la fois d’un essai, d’un historique, d’une performance scénique, de poésie et d’un témoignage. Dans ce monologue Pol Pelletier refait l’histoire des dix années charnières de la présence des femmes dans l’art dramatique au Québec, soit de 1975 à 1985. Ayant elle-même été au cœur (si ce n’est le cœur) de ces démarches particulières visant à faire une place aux femmes dans un monde d’hommes, elle en fait à la fois un témoignage et un parcours en reprenant des extraits de différentes pièces.

Avoir un OSNI sous forme de livre est nécessairement particulier. On ne sait pas trop ce qu’on lit en parcourant cette petite plaquette. Des inscriptions scéniques nous permettent de croire que nous sommes sur une scène, en même temps il ne s’agit pas d’un texte de théâtre à proprement parler puisque personne d’autres que Pol Pelletier ne pourrait porter ce texte intégral qui ne peut qu’être d’elle et par elle.

C’est un témoignage intéressant en ce qu’il retrace clairement le chemin parcouru tout en mettant en exergue (déjà en 1990) les dangers qui courent devant un certain relâchement de la garde. Elle met d’ailleurs en évidence l’apparente contradiction entre la joie de constater que plusieurs femmes sont maintenant à la tête des théâtres du Québec… et le désarroi devant le fait que dans leur gestion elles ne laissent pas de place à la parole féministe. Par moment, par contre, l’impudeur de Pol Pelletier me met plus mal à l’aise. Ainsi les chicanes et les ruptures professionnelles qu’elle a dû confronter pour assumer ses principes me semblent sans grand intérêt et ressemble à du «lavage de linge sale en famille».

Mais je suis quand même très contente d’avoir mis la main sur cet OSNI dont se débarrassait une amie. Et croyez-moi qu’il va rester bien au chaud dans ma bibliothèque comme témoignage de cette parole de femmes souvent dérangeantes mais qui a refusé de se faire taire.

Par Catherine

Extrait :

La création collective, au point de départ comme au point d’arrivée, ce n’est pas un texte, c’est des corps qui bougent et qui font des sons.

(Elle fait toutes sortes de mouvements, et des sons barbares qui réveillent en elle une mémoire encore plus ancienne.)

Les griots, troubadours, chamans-conteurs-guérisseurs, avant l’invention des livres, se promenaient et semaient la connaissance et la poésie, en chantant, en dansant, en séduisant. (Elle se promène dans le public, chantant et dansant, et s’adresse à une personne.) Sans séduction, comment veux-tu apprendre ? (À une autre personne.) Faire plaisir. (À une autre personne.) Je veux te faire plaisir.

Les griots, troubadours, chamans-conteurs-guérisseurs sont les ancêtres des acteurs. Les acteurs. (Un grand cri.) Depuis la suprématie des textes écrits, les acteurs ont infiniment perdu. Nous avons tous perdu de multiples dimensions de notre être, mais les grands mutilés sont d’abord les acteurs, car les acteurs sont, ou étaient, les maîtres de la matière vivante, si infiniment subtile et complexe et mouvante…

couverture
Les éditions du remue-ménage - 103 pages