Dans ce roman, André Brink nous emmène vers le sud-ouest africain, début du XXe siècle. Au fil des pages nous allons suivre la vie tourmentée (quel doux euphémisme !!) d’une jeune femme orpheline, Hanna X. Elle fait partie de ces centaines de femmes engagées aux frais de l'Empire pour fournir aux colons allemands une épouse ou simplement de la chair. Pour Hanna comme pour beaucoup de ces femmes, c'est un peu le voyage de la dernière chance. Pour échapper à une vie de misère de son orphelinat de Brême, en passant par les brimades et autres outrages exercés par ces différents employeurs auprès desquels elle était engagée comme servante, elle rêvait de ce qui se cache au-delà du silence, au pays des palmiers qui voient naître le vent.
Mais elle ne va trouver sur ce nouveau continent que la brutalité coloniale et masculine exercée à l’encontre des femmes mais également contre les peuples autochtones, peuples depuis longtemps oubliés : Herrero, Nama, Hottentos, Ovambo.
Je le dis tout de suite : âmes sensibles s’abstenir absolument de cette lecture. Certains passages sont vraiment atroces, d’une extrême violence et qu’il faut avoir le cœur solide ou savoir faire des pauses tant cette histoire est bouleversante.
Ce qui m’a empêché d’abandonner cette lecture, c’est le courage, la détermination de Hanna. Je me sentais liée à cette femme. Je ne voulais pas la laisser tomber. Car Hanna refuse de se soumettre à la loi du plus fort. A la tête d'une armée où autochtones et femmes allemandes font cause commune contre le pouvoir des colons. Elle organise une révolte. Elle veut leur apprendre qu’il est possible de dire NON. Elle s’engage dans un voyage dans le désert, un voyage au-delà du silence imposé par la violence et l'oppression. Au-delà du silence, là où il n’y a plus de mots pour exprimer l’horreur. Là où s’explosent enfin les cris des victimes.
A ce jour, c’est un des romans les plus durs que j’ai pu lire d’André Brink, dont les sujets ne sont pourtant pas des plus amusants. C’est le moins que l’on puisse dire. Il s’agit pourtant d’un captivant, terrifiant, plaidoyer pour la liberté, le respect de toute humanité sous toutes ses formes. L’auteur amène la lecture à réfléchir sur le pouvoir plus qu’abusif, ignoble exercé à cette époque mais encore de nos jours à des degrés plus ou moins élevés dans toutes les régions du monde, des hommes envers les femmes.
On s’interroge aussi sur le besoin légitime de vengeance de cette femme. Au nom de sa propre humanité. « Mais, sil elle choisit de se venger, restera-t-il en elle une parcelle d‘humanité qui ne sera pas menacée ? Est-il possible de détruire autrui sans détruire au moins une partie de soi ? Le sang peut-il racheter le sang ? »
Malgré tout, l’espoir existe toujours. Hanna va pourtant connaître des moments de répit, des rencontres bénéfiques, notamment ceux avec les Nama qui la recueille et la soigne avec leur médecine du désert et les contes de leur peuple, des sévices qu’elle a subis. Car selon la vieille Taras : « il n’y a pas de douleur et de mal qu’une histoire ne peut guérir »
Dans cet ouvrage, l’auteur nous décrit ces paysages rudes, hostiles du désert de la Namibie, un pays de légendes et de mythes. On part à la découverte de l’autre, de ces peuples qui y vivent en harmonie depuis des siècles.. jusqu’à l’arrivée de l’homme blanc, portugais ou allemand.
Voilà une lecture difficile que je ne regrette absolument pas. Un traité d’humanité qui fait mal jusqu’au plus profond, mais nécessaire. Absolument nécessaire.
Dédale
Extrait :
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« Je ne sais pas comment tu peux imaginer te mesurer au mal, dit-elle à Hanna. Il est si répandu et prend tant de formes…. »
Je ne me fais aucune illusion, répond Hanna. Je sais que je ne pourrai pas changer le monde. Je veux seulement agir. Montrer qu’il est possible de dire « non ». J’ai commencé. Je dois continuer. Le plus important reste à faire.
« Mais le monde est ainsi, un point, c’est tout, réplique Gisela. En croyant qu’il est autre, en croyant que nous pouvons le changer ou le ressentir différemment, nous nous trompons. »
Je vais te dire la différence, répond Hanna, toujours par l’intermédiaire de Katja. C’est la seule chose dont je puisse être certaine. Toute ma vie, il m’est arrivé des choses… Je ne peux pas laisser çà continuer. Dorénavant, tout ce qui adviendra… adviendra par moi. Tu comprends ?
Gisela hoche lentement la tête. « Je crois, fait-elle. Mais, pour l’instant, je suis trop fatiguée. Tout ce que je veux, c’est de suivre. »
Si tu me suis, tu ne pourras pas rester à l’écart de l’action. Tu dois en être bien consciente. Ce sera violent. Si tu n’es pas prête à te confronter à la violence, je t’enverrai à Windhoek avec l’un des hommes.
Elle se contente de hausser les épaules. Après un moment, elle se décide à parler : « D’accord. J’irai où tu iras. Il y a trop longtemps que je suis passive. »
Elle contemple les environs. « Mais ce pays… Il existe depuis si longtemps… des siècles. Tu sais, un jour… nous étions encore à Dresde, je t’ai dit que j’enseignais l’histoire avant mon mariage… j’ai lu un livre sur les premiers explorateurs portugais qui ont longé les côtes de l’Afrique. Diego Cam. Bartolomeu Dias. Eh bien, il paraît que Dias a enlevé quatre femmes noires de la côte de la Guinée pour les déposer à différents endroits. Il croyait qu’elles pourraient se lier avec les indigènes… Bien sûr, à l’époque, on croyait qu’en Afrique tout le monde parfait la même langue… Et puis, il les aurait reprises au retour.
…
Mais les choses ont mal tourné, la flottille fut déviée de son cours et Dias n’est jamais revenu les chercher. D’ailleurs, elles n’avaient peut-être pas survécu. Mais ce qui m’a toujours choquée, c’est la façon dont il s’est permis de les utiliser… sans ambages. Personne n’a pensé aux familles, aux enfants, aux vies qu’elles laissaient derrière elles. Elles n’étaient que des signes, comme ces crois en bois que les hommes fichaient en terre le long de la côte. Simplement parce qu’elles étaient des femmes, les hommes pensaient pouvoir se servir d’elles à leur guise. Combien de fois, pendant mes années de mariage, ai-je pensé que je ne valais guère mieux aux yeux de Gottlieb ! Une balise pour signaler sa progression ».
C’est pourquoi tu dois rester avec nous, insiste Hanna, par l’intermédiaire de Katja. Toutes ces croix en bois doivent hausser le ton et dire non.
Gisela fait oui de la tête. Mais est-elle vraiment convaincue ?
Le livre de poche – 466 pages.
Traduction de Bernard Turle
Commentaires
vendredi 17 août 2007 à 12h57
et bien moi pour le coup, je crois que je vais passer la main... du moins pour l'instant. Bien trop sombre.