Pour ce roman, Russell Banks a avant tout choisi un lieu, un "trailerpark" (parc de caravanes). Les trailerparks sont de plus en plus nombreux au U.S.A. Loin de nos campings estivaux, se sont de véritables lieux d'habitation qui accueillent ceux qui n'ont pas les moyens de loger dans des maisons ou appartements "en dur".

Le trailerpark choisi par Russell Banks se trouve à Catamount, sur un terrain en bord de lac, que les promoteurs n'ont pas exploité faute de futurs acquéreurs. Ils ont préféré le laisser en l'état, y poser 12 mobiles-homes et les louer aux gens du coin. De quoi rentabiliser à moindre frais leur investissement.
Mais qui habite ces caravanes? Monsieur et madame tout le monde. Noir, blanc, jeune ou vieux, femme ou homme, la plupart ont pour point commun la solitude et de faibles revenus. Pourtant il forment une réelle communauté dans la commune. Il y a les habitants de Trailerpark et les autres...

Alors quand Flora Pease débarque pour loger au n°11, forcément, ça inquiète un peu tout le monde. Comme si leur équilibre précaire n'attendait que çà pour s'effondrer. Il faut dire que Flore est vraiment atypique, et qu'elle élève des cochons d'Inde.
La dame au cochons d'Inde est donc la première histoire dans l'Histoire.

Russell Banks, avec beaucoup d'humour (voir l'extrait), nous raconte l'arrivée et le parcours de cette nouvelle locataire et en profite pour nous présenter les résidents du lieu. Une fois l'histoire de Flora achevée, il ouvre une à une les portes des autres caravanes, en bravant la dimension du temps, pour nous parler des autres habitants.
Mais "il est difficile de connaître, de la vie d'une personne, d'avantage que ce qu'elle vous autorise à savoir; et même cela, peu de gens le connaissent entièrement.". Il ne faut surtout pas chercher dans l'accumulation de ces récits à reconstruire un puzzle. Russell Banks laisse volontairement des zones d'ombres.
À ce titre, il ne s'agit pas d'un roman au sens strict du terme : un début, une fin, des personnages qui évoluent de façon cohérente.
Et pourtant, c'est sans doute l'un des plus beaux romans que j'aie lu cet été : peut-être justement parce que Russell Banks ne cherche pas à tout expliquer, tout rationaliser.

Le dernier récit, celui de Marle Ring, l'habitant du n°8, fait écho à celui de Flora, puisque leur solitude et leurs excentricités vont obliger les autres à s'unir. Entre ces deux récits, des fragments, des instants, où la misère côtoie la tendresse.

De ces moments de vie, de ces flashes, transpire une grande générosité. Russell Banks aime ses protagonistes et ils deviennent beaux sous sa plume, malgré tous leurs défauts. Comme à son habitude, l'auteur nous parle de cette partie de la population américaine oubliée de tous. Il évoque avec beaucoup de tact l'Amérique profonde, la violence conjugale, les difficultés familiales, l'alcoolisme... Mais tout ça avec douceur et humour. Car ce qui prime avant tout, dans ce trailerpark, c'est la foi en l'avenir, ce grain ultime d'espoir qui maintient en vie.

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L'avis d'Allie

Du même auteur : De beaux lendemains, Le pourfendeur de nuages, Sous le règne de Bone, American Darling et L'ange sur le toit

Extrait :

Ils s'arrêtèrent devant l'entrée, ne sachant trop comment prendre congé, et le capitaine tourna à nouveau ses regards vers la pyramide de paille et de petites crottes. "Je voulais vous demander de quoi il s'agit, Pease, dit-il en montrant avec le tuyau de sa pipe.
- Mon capitaine?
- C'est quoi?
- De la merde, mon capitaine.
- Ça je le supposais. Quel genre de merde?
- De la merde de cochon d'Inde.
- Ce qui signifie que vous avez des cochons d'Inde", dit-il.
Flora fit un sourire indulgent. "Oui, mon capitaine, c'est ce que cela signifie.
- Dites-moi, Pease, vous connaissez le règlement concernant les animaux familiers dans le parc à caravanes?
- Oh, bien sûr.
- Eh bien, dit-il, les cochons d'Inde, vous appelez ça comment?
- Pas des animaux familiers. Les chiens et les chats, oui. Mais pas les cochons d'Inde. Je les appelle simplement des cochons d'Inde. C'est plutôt comme des plantes, mon capitaine, expliqua-t-elle patiemment. Les plantes, vous appelez pas ça des animaux familiers, n'est-ce pas?
- Mais les cochons d'Inde, c'est vivant, nom d'un chien !
- Il y a des gens qui diraient que les plantes aussi, c'est vivant, si vous n'y voyez pas d'objection, mon capitaine.
- Oui, mais ça n'a rien à voir ! Ça, c'est des animaux !" Le capitaine tira sur sa pipe, fit venir de la cendre et de la salive dans sa bouche et toussa.
"Les animaux, les végétaux, les minéraux, ce qui compte c'est qu'il ne sont pas comme les chiens et les chats qui sont des animaux familiers parce qu'ils peuvent être embêtants pour les gens. C'est plutôt comme les bébés et c'est pour ça qu'il y a des règlements contre les animaux familiers dans des endroits tels que celui-ci, expliqua-t-elle."

couverture
Éditions Babel - 416 pages
Traduction de Pierre Furlan