Dans un style limpide dont je ne me lasse pas malgré une relecture, Pierre Bordage avec son talent rare de conteur nous offre un tableau impressionnant, très convaincant, effrayant aussi des temps futurs. Tout y est soigné, étudié dans les moindres détails pour rendre les personnages, l’intrigue parfaitement crédibles. On ne peut s’empêcher d’être captivé par le voyage aux nombreux rebondissements de ce peuple nomade. On est vraiment tenu en haleine.

Les derniers des hommes n’est pas simplement un livre de Science-Fiction. C’est avant tout un livre de réflexions sur la responsabilité des hommes sur leurs actes, les incidences des recherches scientifiques et des évolutions des OGM, la course éffrénée au pouvoir des nations, des individus pour qui tous les moyens sont bons pour atteindre leurs objectifs, l’impact de leurs actes sur leur environnement, les ressources prodiguées par la Terre. Sujets on ne peut plus actuels !

C’est surtout, selon moi, une histoire profondément humaine. Bordage cultive les grands thèmes essentiels dans ses ouvrages qui lui sont chers : le droit à la différence, la quête de la science, l’impact des religions sur les hommes, l’humanité.

Une relecture, disais-je mais quel plaisir de voyager à nouveau avec Solman, Raîma, Moram et tous les autres Aquariotes ! Un plaisir qui me pousse à relire d’autres ouvrages de Pierre Bordage, ce grand maître de la SF française.

Ne manquez pas l'interview exclusive que Pierre Bordage nous a accordée.

Du même auteur : L'évangile du serpent, Abzalon, Orchéron, Les guerriers du silence, Porteurs d'âmes, Le feu de Dieu, Les fables de l'Humpur

Dédale

Extrait :

Il prit conscience que son adolescence s’était enfuie dans la pénombre de cette remorque, que leurs relations ne seraient plus jamais comme avant. Il était passé dans l’âge adulte sans rien connaître de cette insouciance magnifique qui caractérise les enfants ordinaires. Ses pensées devinrent aussi maussades et froides que les bancs de brume qu’il entrevoyait par les vitres rondes et les interstices de la bâche. Sa douleur au ventre, e revanche, s’était aussi mystérieusement évanouie qu’elle était apparue.
« L’aigle… murmura Raïma.
Quoi l’aigle ? » s’écria-t-il en se détachant d’elle.
Il s’avait déjà ce qu’elle allait lui répondre.
« Nous avons vus l’aigle. Ton mal de ventre, c’était la trompette du quatrième ange.
- Ne sois pas stupide ! – la colère déferlait en lui, qui poussait sa voix dans les aigus. – Ce n’est qu’un emblème gravé sur le métal d’un solbot, et je ne suis pas le seul dans cette caravane à avoir mal au ventre.
- Non, mais tu es le seul donneur, répliqua-t-elle sas perdre son calme.
- Et toi ? »
Elle se raccrocha à l’extrémité saillante d’un rouleau de tissu pour ne pas perdre l’équilibre.
« Moi je ne fais qu’appliquer les conseils de mon maître Quira. J’ai un certain don pour la manipulation des plantes et des Ames, d’accord, mais mes perceptions n’ont rien d’extraordinaire.
- Pourtant, les autres… »
Elle l’interrompit d’un geste péremptoire.
« Je laisse les autres se persuader que je suis une donneuse, car leur guérison dépend en grande partie du pouvoir qu’ils prêtent à la personne qui les soigne, mais je reste à la porte de l’ordre invisible.
- Tu crois peut-être que j’y entre, moi ? »
Elle le considéra pendant quelques secondes avec une expression mi-navrée, mi-courroucée.
« C’est vrai que toi, tu ne fais que voir au-delà des apparences, tu ne fais que t’introduire dans le mécanisme le plus subtil, le plus volatil qui soit, l’intention, la pensée !
- J’y suis pour rien…
Elle haussa les épaules et levas les yeux au ciel.
« L’oiseau vole, et il n’y est pour rien ! Le soleil brille, et il n’y est pour rien ! La vie coule, et elle n’y est pour rien ! Tu captes des signes que personne d’autre ne peut capter, Solman, tu n’y es pour rien, mais ça te donne une sacrée avance. Et une énorme responsabilité. »

couverture
Éditions J’ai lu - 671 pages