Il y a le personnage narrateur, il y a son père qui est mort, il y a son frère couillon, il y a ce domaine en décrépitude et une immense solitude. Il y a les livres aussi, appelés les dictionnaires, et il y a ce grimoire où le personnage narrateur consigne les événements des dernières heures dans une langue, un ton unique, qui est un personnage en soi dans ce bijou de littérature. Il lui faut consigner donc, les événements des dernières heures parce que quand, toute une vie, vous avez obéi à un père qui vient de mourir, les murs d’une vie pleine de moisissure peuvent soudain s’éventrer. Et ils s’éventreront…

Ce livre a été un énorme succès, autant en librairie qu’auprès des critiques et on comprend par sa force conjuguée, à la fois celle du récit et celle d’une plume unique. Il y a des parentés dans le ton avec Le souffle de l’harmattan de Sylvain Trudel dont je vous ai déjà glissé quelques mots. Une fois de plus on fait affaire à une narration en équilibre entre une extrême naïveté et une grande lucidité, un roman au je, un je qui à la fois maîtrise la langue et la maîtrise mal, créant un style unique, empreint d’émotions.

Je rajouterais qu’une fois de plus je suis un peu assommée par les recensions que j’ai lu qui parle d’un livre plein d’émerveillements et de lumières. Des fois je me demande sérieusement si je lis les mêmes livres que les autres. C’est un livre plein de poésie certes , mais qui avant de parler de lumières, parle surtout d’une extrême douleur, pour ne pas dire d’une horreur pure.

Un excellent livre que je ne peux que conseiller à ceux qui comme moi sont 10 ans en retard sur les grands succès !

Par Catherine

Extrait :

Voilà, tout tire à sa fin, c’est une loi de l’univers, à commencer par ce grimoire, plus que quelques pages encore avant le grand sacrifice. J’ai très peu de temps, et je n’aurai pas celui de tout dire, vous m’en voyez désemparée. J’aimerais ajouter simplement ceci au chapelet de mes déconvenues, savoir que je me demandais depuis quelques secondes à peine si tout ce que nous vivions depuis la veille au matin, ratages, colères, paniques et humiliations, et que nous avions cru en dehors de toute orbite paternelle, ainsi que ça se nomme, si toutes ces choses n’étaient pas en fait exactement ce que papa eût voulu qu’elles fussent. J’ai crainte que nous n’ayons rien fait que continuer à lui obéir, sans le savoir, n’y pouvant mais, emportés tous les deux par un mouvement fatal qui émanait de lui, continuant à nous entraîner dans sa vague, encore et toujours. Je dis la chose comme elle m’apparaît. Peut-être n’avons-nous jamais cessés d’être ses poupées de cendre. Je veux dire que, du fond de sa disparition, il continuait à se jouer de nous, à se payer notre angélique bourrichon avec la même inquiétante assurance dont je fais preuve, moi, en me servant des mots. Père n’était pas homme dont la puissance s’arrête si court. Sa propre dépouille n’était peut-être qu’un jouet pour nous leurrer, nous-mêmes autant que l’univers dans sa totalité pensive. Je songeais à cela en regardant le trou où frère avait enseveli sa grandiose disparition en bordure de la pinède, et je me disais que si on se mettait à raconter un jour que quelque chose sous cette croix sans nom ni date, avec une secrète ironie, faisait pourtant encore faiblement remuer la terre, je ne serais pas autrement étonnée, allez. Je veux dire que nos semblables ont tendance à stupéfier en présence de ce qui est disparu nulle part, en raison de leur fonds humain, ça les incline à ruminer l’herbe des morts, qui rend imaginatif. Et le premier soleil d’une religion, à moins que je ne me trompe, c’est toujours un cadavre qui bouge.

couverture
Éditions Points - 179 pages