Bertrand Gervais, en cette rentrée littéraire québécoise, nous offre un conte naviguant entre la réalité montréalaise et le merveilleux, l’histoire de Caroline-Pas-de-Pouces qui part avec sa marionnette Caroux le singe à la recherche de ses pouces perdus. Caroline rencontrera différents personnages durant son aventure : une voyante, un professeur d’université, de méchants zuggies et un gentil groupe de jeunes sans abris qui rappelle un peu les enfants perdus de Peter Pan. Bertrand Gervais décline ici le thème de la résilience dans une trame idéale pour un conte pour enfant… en conte pour adulte.

Comme j’ai beaucoup de réserves quant à ce roman, je commencerai par les fleurs. Le récit se passe chez moi. Non seulement il se passe à Montréal, mais en grande partie dans mon université, dans le quartier où j’ai étudié, je connais chacun des coins de rue, chacune des briques qu’on y évoque. Par moment, ce Montréal qui devient un personnage à part entière, m’a profondément émue. Et la seule scène qui ne se passe pas à Montréal… se passe dans le village de mon enfance ! J’ajouterais que la mise en page du récit est très originale et intéressante. Au plan graphique, c’est un très beau livre.

Pour ce qui est de mes réserves… D’une part je ne pense pas être le meilleur public pour le merveilleux, encore moins pour ce type de conte pour enfants version pour adulte. Ce type d’approche me laisse assez froide. Certaines tournures de phrase sont très belles («C’est le bonheur qui fait toute la différence. Il rend moins vigilant.»), mais globalement je ressors de cette lecture sans grande empreinte.

Réserve plus sévère et politique : il y a dans ce roman deux groupes de personnes itinérantes qui s’affrontent. Les méchants (les zuggies) qui ont une approche très territoriale, traumatisent les autres, salissant les parebrises des automobilistes en les «lavant» et les gentils (les GG) qui prennent soin de jeunes enfants sans maison et qui vendent des livres usagés pour survivre. La question des bons et des mauvais itinérants est une question tellement sensible actuellement au centre-ville de Montréal que cette distinction entre un groupe qui se rendrait utile contre un groupe nuisible, cette vision très manichéenne d’une situation tellement complexe, m’a choquée. Bien sûr, on invoquera le crédit poétique, mais je ne crois pas qu’on puisse perdre de vue l’importance de la littérature dans les débats sociaux. Et j’ai beaucoup de mal à cautionner une vision aussi simpliste d’une situation qui me tient particulièrement à cœur.

Par Catherine

Extrait :

- Qui vous a fait ça ?
- Je les ai sucés une fois de trop et ils ont disparu.
- Je le vois bien ! Je sais être clairvoyante quand il le faut…
- Moi je n’ai rien vu. C’était pendant mon sommeil.
- Qui d’autre est au courant ?
- Personne. Si on oublie Caroux. Mais il ne parlera pas.
- Vos pouces ne sont pas partis tout seuls. C’est important que vous le compreniez.
- Je veux savoir si je les retrouverai.
- Ça dépend de vous, ma chère. Je ne peux pas vous aider.
- Comment ça ?
- Je suis impuissante devant un tel prodige.
- Et l’avenir ? Vous dites lire l’avenir. C’est de la fausse représentation ! Je veux connaître mon avenir. J’ai des sous, je paierai.
- Pour lire les lignes, ça me prend une main entière. Les vôtres ne sont pas complètes.

couverture
Éditions XYZ - 186 pages