Son vieux maître tant admiré s'éloigne en une longue agonie et comme la flamme d'une petite bougie s'éteind au moment choisi par lui seul.
Cette disparition, ainsi que toutes les rencontres insolites que va faire Ludvik, ne vont cesser de l'intriguer, le déranger dans sa solitude, son hébétude. Que ce soit le vieux dans kiosque à journaux, la femme de ménage à l'hôpital ou l'homme au guichet d'une caisse d'épargne, tous tiennent des propos sans raisons ni rimes. Tout cela perturbe quelque peu notre homme et le lecteur il faut l'avouer. Où veulent-ils tous en venir ? Car tous lui parlent du sel, du goût du sel, de son importance dans la vie des hommes. Le sel, ce symbole de pureté, d'innocence. Le sel des larmes aussi.
Avec son écriture si poétique qui me ravit toujours autant, Sylvie Germain mélange en une savante et délicieuse recette les ingrédients de l'imaginaire, du réalisme et nous donne à savourer le goût de sel de la vie, du monde qui nous entoure et la poésie de chaque instant.
A déguster sans modération.
Du même auteur : Jours de colère, Le monde sans vous et Hors champ, Petites scènes capitales
Dédale
Extrait :
Un hêtre isolé se dressait, là-bas, au milieu d’un paysage plat surplombé par un ciel en remous aux tons d’ardoise et de lavande. Il se tenait très droit au cœur de cette double immensité de terre rase et de froide lumière, de cette double nudité, et il portait très haut dans le bleu du silence sa cime globuleuse couleur d’ambre et de rouille. Un hêtre en sobre majesté qui conversait avec le vent, avec le vide, avec sa propre ombre, dans le déclin du jour.
Le lieu était banal, et pourtant insolite. Nul relief, un chromatisme pauvre, un ciel démesuré, une ligne d’horizon tirée d’un trait austère, et bas. Mais il y avait l’arbre, son tronc cendré, comme une entaille dans le bleu sourd du ciel, sa ramure arrondie, comme un défi à tant de nivelage, son feuillage cuivré, comme un gong recélant d’obscures résonances. Il y avait ce hêtre planté en sentinelle dans la tombée du jour, dru comme un corps d’attente et de longue endurance. Il habitait l’espace avec simplicité, avec puissance, tout concentré sur soi, sur son invisible cœur d’arbre, sa solitude d’arbre. Il habitait le temps avec ténacité, avec patience, tramant sans fin des songes sous son écorce grise, tissant et enlaçant les fils ligneux de sa mémoire séculaire.
Mais le hêtre soudain fut arraché à son immobilité et se mit à glisser lentement le long du ciel jusqu’à échapper à la vue. S’en allait-il rejoindre les forêts, renonçait-il à son excès de solitude ? entrait-il en dérive dans le courant d’un songe jailli à l’horizon, dans la houe des nuages, ou bien s’enfuyait-il pour taire un secret que commençaient à disperser ses feuilles rousses ? Toujours est-il qu’il disparut ; la nudité du lieu fut alors à son comble, le bleu du soir parut plus sombre, la terre plus désolée. Ludvik ressentit un léger désarroi en voyant l’arbre s’éloigner, bien que dans le même instant il soupirât de soulagement, - après plus de vingt minutes d’arrêt en pleine campagne le train se remettait enfin en route.
Éditions Folio – 185 pages
Commentaires
mercredi 10 octobre 2007 à 10h44
J'aime beaucoup Sylvie Germain et n'ai pas lu celui là, je le note tout de suite
mercredi 10 octobre 2007 à 21h59
est ce que magnus est très différent de tous les autres ? Parce que là, tu ne me donnes que moyennement envie (l'extrait surtout), et tu sais que finalement, je n'ai pas eu un gros coup de coeur pour "le livre des nuits" comme magnus.
jeudi 11 octobre 2007 à 07h11
Emeraude, tous les ouvrages de S. Germain sont différents. Ils ont tous leur propre magie.. qui peut parler à tous et toutes de différentes manières. Peut être que "Eclats de sel" ne te conviendra pas.. mais ce serait dommage de ne pas tenter l'expérience avec "Jours de colère" ou "L'enfant méduse" ou " Le chant des mal aimants" ou "Tobie des marais"....etc
Alors surprise ou déconvenue... il faudra revenir nous dire 
Les lectures, leur ressenti sont si différents d'un lecteur à l'autre. Il faut juste s'accorder la chance de la rencontre avec l'auteur (S. Germain ou un autre)
jeudi 11 octobre 2007 à 09h59
Je l'ai lu il n'y a pas très longtemps et comme toi j'aime beaucoup l'écriture de Sylvie Germain qui me transporte à chaque fois, comme dernièrement pour Magnus !
jeudi 11 octobre 2007 à 20h41
J'aime beaucoup Sylvie Germain moi aussi, mais moins les romans qui appartiennent à sa période pragoise. Je les ai tous lus et je crois que son meilleur est Jours de colère.
jeudi 11 octobre 2007 à 21h29
Bonsoir Réjean,
Je partage un peu ton avis concernant S. Germain et sa période pragoise. Je n'ai pas encore tout lu mais "Jours de colère" (commenté également sur ce site) est pour l'instant mon préféré de ses ouvrages. Peut être parce que l'histoire se déroule dans une région que je connais un peu
Merci pour la visite.
lundi 10 décembre 2007 à 17h52
Bonjour,
Je voudrais ajouter mon grain de sel au commentaire sur Éclats de Sel et autres écrits de la période pragoise de Sylvie Germain. Comme le soulignait la personne qui disait âtre sensible à Jours de Colère car elle connaissait la région où le roman se déroule, il est parfois plus facile d'entrer dans l'atmopsphère particulière d'un livre quand on en connaît les paysages, les ambiances, le type de personnages... Pour ma part, j'ai séjourné en Bohême et en Slovaquie aux mêmes époques que Sylvie Germainen et je dois dire qu'elle en décrit parfaitement le climat, les problématiques... Cet écrivain est une merveilleuse éponge, qui absorbe les pollens des pays et des êtres pour en restituer les sucs merveilleusement distillés par une langue somptueuse, inspirée, poétique, épique, sauvage... Allez à Prague en emportant un ouvrage d'elle. Vous verrez... Néanmoins, il faut aussi connaître l'atmosphère très particulière qui régnait avant et juste après la Révolution de Velours, dont elle restitue finement la mélancolie. Sylvie germain est, comme moi, une grande admiratrice de l'écrivain tchèque Bohumil Hrabal, dont je recommande la lecture ( davantage encore que celle de Milan Kundera) car ses ouvrages sont la quintessence de l'âme tchèque.
Bien amicalement à tous
Claude Clément