Le sang des colombes est donc l’histoire de ce jeune homme habitué à circuler comme une ombre qui vient remplir un contrat macabre et criminel pour la liberté au Québec et qui se réfugie, le temps de laisser la poussière retombée, dans le petit village de Saint-Alexis. Là il découvrira une vie qu’il n’avait jamais pu imaginer faites de confiance, d’amitié et même d’amour. Vivant chez le peintre Gauthier, découvrant l’amitié du maire Hubert, coincé entre deux sœurs rivales, personne ne pourra se douter qu’il est le maître d’œuvre du sang qui s’écoule partout sur le territoire. C’est un roman qui aborde la question de la violence politique et de ses paradoxes, un peu comme le faisait La clameur des ténèbres de Neil Bissoondath.

D’entrée de jeu il faut souligner la volonté manifeste de l’auteur, de ne pas écrire un roman autofictionnel. On comprend, et on sent même dans l’écriture, cette volonté de regarder plus loin que soi, d’embrasser plus large, de toucher des thèmes plus grands. J’ajouterais que certains personnages sont très intéressants. Il m’a semblé que la figure la plus peaufinée de ce roman est celle du peintre Gauthier dont le rapport ambivalent à la violence m’apparaît plus crédible que celui de Roman. D’ailleurs, les réflexions autour de l’art contemporain sont pertinentes et une certaine scène d’un vernissage à New York la plus réussie du roman à mon goût.

Mais certains éléments m’ont laissé sur ma faim. D’une part, l’ambivalence de Roman ne me semble pas assez exploitée, à peine esquissée. On s’attendrait à ressentir le déchirement vécu par celui qui découvre la paix mais est appelé par un destin de violence. D’autre part, il faut un certain courage, que je salue, pour écrire une politique fiction, mais ça soulève aussi certains problèmes. Un de ces problèmes, majeurs à mes yeux, c’est qu’un terroriste ne peut pas être à la fois un mercenaire et un idéaliste. Les terroristes tuent pour une cause ou ils tuent pour l’argent. Ils ne circulent pas à travers le monde à la fois grassement payés et dévorés par une quête de liberté. Roman se bat pour la mémoire de son père mort en affrontant le communisme en Roumanie. Or la quête de «liberté» de l’est européen et la quête de «liberté» québécois ne sont pas des quêtes assimilables. L’une concerne une question identitaire, l’autre concerne la démocratie. La liberté n’a pas un sens univoque. L’autre problème, c’est l’extrême délicatesse de la question de la violence politique. Dany Leclair affirme ne pas cautionner les actions violentes de ses personnages, et je le crois sans hésitation. Le roman se termine tout de même sur l’idée que la lutte se poursuit au nom «des opprimés de la terre». Ça laisse un certain arrière-goût dérangeant de «Hasta la victoria siempre» qui n’a strictement rien de métaphorique.

Tout de même, je le réitère, il fallait du beau culot pour écrire un tel livre dans une époque où le politique semble la dernière préoccupation de bien des gens et de bien des livres.

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Par Catherine

Extrait :

Roman comprit alors qu’il avait pris la mauvaise décision en revenant à Saint-Alexis. Il était tombé dans le piège de l’affection et il se retrouvait maintenant dans une situation pénible qu’il aurait pu éviter en disparaissant à New York. Mais le bonheur qu’il éprouvait alors l’avait aveuglé, l’avait entraîné là où il n’aurait pas dû aller. Il aimait cette femme, se sentait bien avec elle, il aimait cette vie simple qui lui donnait l’impression de goûter au bonheur. Mais il savait aussi qu’en restant là, jamais les choses n’avanceraient. Il était convaincu que ce n’était pas la bonne façon d’honorer la mémoire de son père, qui s’était battu toute sa vie pour la liberté. Sans le fardeau de sa famille, l’homme aurait sans doute pu faire beaucoup plus. Il savait que le poids de ses enfants avait nui à ses activités, et lui-même ne voulait pas connaître d’entrave à sa lutte. Même si sa vie paisible des derniers mois lui avait fait du bien, il conservait la certitude que son destin ne se trouvait pas dans les bras de Nadja. Il pris alors la difficile décision de la laisser.


Éditions VLB - 190 pages