Pendant qu’Emile erre entre la Vendée et Paris, tentant de mener à bien la mission que lui a confié la Fée Mélusine, le Père des Pères, grand prêtre du culte de Mithra, fait régner la terreur sur Paris et tient même le nouveau gouvernement Jacobin dans sa main.
Augustin Cornuaud, dit Belzébuth, est marin. Il fait commerce de Bois d’Ebène et se retrouve enjominé par une sorcière Vaudoun prisonnière dans la cale de son bâtiment après le viol d’une jeune négrillone. De retour à terre, l’esprit de la sorcière prend possession de son corps pour venger ses frères noirs prisonniers des Blancs. Dans l’atmosphère de mort de la Capitale, les quelques cadavres de plus laissés dans son sillage passent inaperçus.
Ces deux hommes au destin hors du commun vont évoluer au milieu de la ferveur Révolutionnaire, devoir choisir leur camp, se battre chèrement pour leur vie avec les moyens dont ils disposent et côtoyer les grands de ce monde en perdition.
Il est difficile de résumer cette trilogie, chaque tome portant le titre d’une de ces années de la Terreur. Le destin des personnages prend pour cadre l’Histoire de France, dans un de ses moments les moins glorieux, là où la violence est monnaie courante, là où les plus bas instincts de l’homme se révèlent et que l’on se rend compte où sont les priorités et les amitiés.
C’est encore une fois un univers foisonnant, précis, bien décrit, jusqu’à l’accent du boccage que l’auteur rend dans les dialogues, ce qui ralentit un peu la lecture mais apporte en réalisme et affermit l’imaginaire.
Les chapitres alternent entre les aventures d’Emile, de Cornuaud et de certains autres protagonistes traversant l’histoire, jouant un rôle plus ou moins important. Du coup l’attention reste ciblée, malgré la connaissance historique que l’on peut avoir, le lecteur est tenu en haleine parce qu’il ne s’agit pas ici du sort d’un peuple, mais bien du destin d’individus pris dans la tourmente, pions d’enjeux qu’ils ne maîtrisent pas du tout.
Une des surprises de cette trilogie est l’ingérence du fantastique dans le réel. Oui, les Fées existent, de même que les Fadets du boccage, les enjomineurs (comprendre les ensorceleurs) et les esprits. Toute l’ambiance des contes et légendes de l’arrière pays français est retranscrite ici et donne à la Révolution, cette partie sombre de l’Histoire, une dimension nouvelle.
J’ai retrouvé dans l’Enjomineur un écho au dernier roman de Bordage, Porteurs d’Âmes. En effet, Cornuaud est habité par l’âme de la sorcière. Hasard ou simplement une idée qui a fait son chemin entre les deux publications ?
De même, pour ceux qui seraient en plus attirés par l’aspect historique du récit, je conseille de poursuivre la lecture avec Quatre vingt treize de Victor Hugo, et pour les mélomanes il est possible de vivre en musique l’épopée vendéenne grâce à l’album éponyme de Didier Barbelivien, tiré du roman de Hugo.
Ne manquez pas l'interview exclusive que Pierre Bordage nous a accordée.
Du même auteur : L'évangile du serpent, Les derniers hommes, Abzalon, Orchéron, Les guerriers du silence, Porteurs d'âmes, Le feu de Dieu, Les fables de l'Humpur
Par Cœur de chene
Extrait :
Un soleil pâle brillait dans un ciel d’un bleu pur, profond. Il ne suffisait pas à percer les étoupes de brume autour des bosquets ni à réchauffer un air plus coupant qu’une faux, mais, au moins, ils ne risquaient pas d’être trempés par les averses. Leur séjour dans l’eau glacée de la Sèvre n’avait laissé que peu de traces, hormis chez Claudine qui, affaiblie par le chagrin et les nuits sans sommeil, toussait à fendre l’âme. Les arbres parés de dentelles de givre se tenaient prêts à célébrer la naissance du Seigneur. Les flaques avaient gelé dans les ornières et les becs des corbeaux ne pouvaient plus transpercer une terre plus dure que la pierre.
« O l’a dos loucs par là », grogna Grégoire.
Il désigna les traces fraîches au milieu de la gelée blanche qui recouvrait un champ.
« Dame, l’ont qu’à venir ! s’exclama Balthazar en brandissant son fusil. I saurant les accueillir comme l’méritant. »
Emile eut une pensée pour Norbert, le vieux Bert, et ses deux loups, victimes tous trois d’une méprise entretenue par les frayeurs ancestrales. Qu’ils fussent d’un bord ou de l’autre, les hommes tendaient à détruire ce qu’ils ne comprenaient pas. Les montagnards, poussés à l’extrémisme par les sections elles-mêmes manipulées par les adorateurs de Mithra, n’avaient pas cherché à comprendre les Vendéens ni les autres populations insurgées. C’étaient, sur le chemin d’une société idéale, triomphale, des punaises qu’il fallait écraser, les insupportables survivants d’un monde abhorré dont on effaçait avec rage les dernières traces. Ni l’organisation de Mithra ni le Comité de Salut Public n’étaient d’humeur à composer avec d’autres croyances, d’autres visions, pressés l’une et l’autre d’imposer leur culte et leur homme nouveau.
Éditions de L’Atalante
Commentaires
jeudi 25 octobre 2007 à 16h43
Je n'ai lu que le premier tome, mais je dois dire que j'ai trouvé ça plutôt réussi. Je compte poursuivre avec les deux autres !