Avez-vous remarqué que les vitres des trains ou des autocars sont propices aux errances? En fonction de la mise au point, on admire le paysage ou l'on voit son reflet. Le voyage est donc à la fois extérieur et intérieur.
Le nez sur la vitre, ce père alterne entre présent et passé. Ce trajet en bus est pour lui l'occasion de se souvenir des relations qu'il entretenait avec son propre père, de son arrivée en France, des premières difficultés avec son aîné.

Comment faire pour se comprendre quand les enfances ont été si différentes? Lui, le père, né au bled, analphabète, aime son fils plus que tout. Mais il y a la réserve due à l'éducation, ces silences pudiques...

Abdelkader Djemaï, peint avec délicatesse, le portrait d'un homme humble et digne. Un homme qui a quitté son Algérie natale pour offrir un meilleur avenir aux siens, mais qui aujourd'hui se sent dépassé.
C'est un très beau voyage, émouvant jusqu'à la dernière ligne, car en ne nous laissant voir que le point de vue du père, Abdelkader Djemaï maintient son lecteur dans l'attente des retrouvailles. Il a aussi l'élégance de ne pas faire sombrer son histoire dans la mièvrerie et nous propose une réflexion sur l'urgence du temps qui passe.

Du même auteur : Gare du nord

Laurence


Dire que j'ai adoré, que j'ai été touchée par cette histoire est tout ce que je peux écrire en version courte ;-) Parce que, parce que..... cela risquerait de trop déborder ;-)
C'est beau, court mais intense, plein d'émotions. C'est très bien écrit, cruel et tendre à la fois. Il est des petits bijoux que l'on ne peut oublier.
Abdelkader Djemaï entre forcément dans mes favoris de cette année.

Dédale
le 21 avril 2008

Extrait :

Sur la route qui lui livrait, par à-coups, des maisons, des châteaux d'eau, des étendues de vignes, des paysages inconnus, il pensait une fois encore à son fils. Il se disais qu'ils ne s'étaient pas beaucoup parlé. Lui, il n'avait pas eu besoin de mots, de phrases avec son père, c'était comme ça, ça avait toujours été comme ça, ils se comprenaient malgré le dénuement et la solitude du douar. Il avait cru que les choses allaient d'elles-mêmes, que ce serait pareil avec son petit, que cela se ferait naturellement. Puis le temps avait passé et il s'était brutalement aperçu qu'une distance les avait, sans qu'ils le veuillent, peu à peu séparés, éloignés l'un de l'autre. C'était comme si son fils se tenait derrière une vitre épaisse, qu'il pouvait seulement le voir, le sentir bouger dans la lumière et dans le silence qui l'enveloppait sans un grand manteau noir. Une vitre froide et impitoyable sur laquelle il avait collé son nez et qui l'empêchait de lui dire quelques mots, de la toucher, de le serrer dans ses bras. Dans cette histoire sans paroles, il ressemblait, comme disait sa mère, au muet qui confiait à un sourd qu'un aveugle les regardait.


Éditions Points - 79 pages