Cette auteure à l’écriture précise, ciselée mais pourtant très poétique, nous conte l’histoire de La Maestra, la maîtresse d’école. C’est ainsi que les habitants fantasques, imprévisibles, susceptibles vont adopter la nouvelle habitante du village, parce qu’elle est une gringo et qu’elle connaît au moins deux alphabets et possède donc le savoir.

La narratrice, qui n’utilise ni « je » ni « elle » mais « tu », comme sortie de son corps malade, s'échappe de l’hacienda de son mari à Mexico, pour fuir sa propre mort ou pour vivre encore. Son voyage en bus se termine dans un hameau désolé des hauteurs de la Sierra Madre, un pueblo où règne le vide, la désolation, la pauvreté. Sous la protection de Cruz, un indien rencontré durant le trajet vers nulle part, elle va partager la vie des Indiens Huastèques. On trouve là des personnages hauts en couleurs : la vieille Vieja toujours suivie de sa chèvre, hargneuse, médisante qui dès le premier moment prend la nouvelle en grippe ; Luz, la couturière qui coud les vêtements des vivants et les linceuls des morts ; une floppée d'enfants orphelins de Marta, une femme qui décide de mourir plus tôt que d’être à nouveau enceinte et bien d’autres.

Tout en esquivant avec intelligence les écueils des sujets comme : le savant et l’ignorant, du riche et du pauvre, de la confrontation des cultures, la précarité de situations qui cachent pourtant de vraies richesses, l’auteur nous sert par une belle écriture une poésie âpre mais humaine, sensible comme la terre où s’accroche le pueblo. C'est émouvant, surprenant, surréaliste parfois mais assurément captivant, plaisant, attachant.

Du même auteur : La maison aux orties

Dédale

Extrait :

Marta reprendra le plateau plus tard. Pour la première fois, tu guettes son retour. Elle sursaute lorsque tu l’appelles, comme quelqu’un pris en faute, s’immobilise face à toi. Tu te rends compte que tu l’as déjà vue devant l’atelier du plâtrier.
Tu lui propose une tasse de thé pour l’entendre dire oui ou non, car tu ne connais pas le son de sa voix. Elle te répond par un hochement de tête. Marta boit son thé debout, les pieds joints. Des pieds qui sentent l’armoise et l’herbe écrasée. Elle refuse de s’asseoir. On ne s’asseyait pas devant le Padre. Tu lui précises qu’un padre et une maestra, ce n’est pas pareil. Mais elle n’est pas d’accord. - Les deux sont gringos. Les deux viennent de loin et connaissent deux alphabets au moins.
- Qui t’empêche de les apprendre ?
Elle te montre d’un air désolé son ventre de femme enceinte :
- Toujours pleine. Les enfants pressent sur le cœur. Le cœur presse sur la cabeza. Marta peut rien retenir. Elle perd un peu de son inteligencia à chaque accouchement. L’enfant prend dans le cerveau de la madre pour faire le sien.
Marta ressemble à un enfant avec sa petite taille, ses petites mains, sa petite tête. Comment a-t-elle fait six enfants avec si peu de corps ? On dirait une lapine debout. Une lapine qui parle. Elle apprécie ton air compatissant et se demande comment t’en remercier. Demain, elle t’enverra un fromage aux herbes avec son fils Manuelo. Elle te montre sa hutte, la plus laide du pueblo. - La Maestra sera la bienvenue chez la Coneja, balbutie-t-elle en rougissant.
C’est elle, la Coneja, dire que tu la prenais pour Marta seulement.


Éditions Actes Sud - 170 pages