Sachant que l'être humain est un homme de progrès et qu'il accumule depuis des décennies des objets aussi indispensables que futiles, Alain Bertrand a décidé d'en faire un catalogue pour mieux révéler la vacuité de notre société.

Sous forme d'inventaire, il détaille nos habitudes consuméristes. Chaque chapitre fixe son objectif sur l'un des ces objets devenus cultes. En plus de ceux sus-nommés, il ne faut pas oublier l'ordinateur, la pince à linge, le kärcher, le frigo américain ou le micro-onde.

Depuis que l'homme est homme, il s'est lancé tête première dans une course au progrès. Mais est-ce réellement un bénéfice? N'est-on pas devenus les esclaves modernes de nos propres inventions?

Avec humour et parfois poésie, Alain Bertrand dissèque chacun de ces engins de torture.
Cet ouvrage n'est pas un roman, mais bien un catalogue. Laissez-donc au vestiaire vos habitudes de lecteurs compulsifs : une lecture sans pause de la première à la dernière page vous menacerait d'indigestion.
Comme toute gourmandise, il faut en user avec parcimonie. Je vous conseille donc de lui trouver une place de choix, un endroit où vous pourrez venir le consulter de temps à autre, en fonction de vos envies :
Vous rentrez trempés par l'orage que Météo France n'avait pas prévu, une occasion rêvée de consulter le chapitre « parapluie », suivi de celui sur « Le parasol » pour vous remonter le moral.
Une chaussette rouge s'est perdue dans votre lessive de blanc, vite, ouvrez le livre à la page 55 consacrée au « Lave-linge ».
Des envies de meurtres? Ne vous inquiétez pas, Alain Bertrand à pensé à vous en rédigeant le chapitre « La hache ».

Vous l'aurez compris, ce livre est un peu à part. Ni un roman, ni un dictionnaire. Des miscellanées acides de notre 21ème siècle. A consommer avec modération, bien sûr. ;)

Extrait :

La machine à café

La machine à café est une vache à lait sans le fumet de la campagne. Pas de mouches tout autour, mais une nuée de fonctionnaires qui cherchent une pièce de monnaie au fond de leur poche. La vache, elle, mâche de l'herbe et fait mousser le seau. La machine, après sélection chimique, grogne et produit un jet brunâtre. Dans le pré, le jet susciterait la grimace, même chez un écologiste. Mais là, dans la salle des professeurs, les yeux cillent d'un contentement rituel tandis que que les doigts réduisent la surface de contact avec le gobelet dans le but légitime d'éviter la surchauffe précédant l'incapacité de travail.
Hors de la file, sacrebleu! File allongée par tous les candidats à l'ulcère du duodénum.
La machine à café répand son haleine de synthèse; on cause, de soi devant la télé, la classe ou la couche-culotte de bébé.
Les collègues? En parler, certes, mais exclusivement pour s'en plaindre.
C'est le gémissement qui maintient debout l'Éducation nationale.
Et s'il n'y avait pas la pause café pour se laver de tout, il ne resterait rien qu'une odeur de craie et de sueur froide.
Dans ces conditions, le gobelet en plastique tient lieu de conseiller pédagogique. Sa tiédeur dans la paume transmet un peu de cette flamme dont l'homme manque parfois devant le tableau noir. La vache, par contre, étoile le seau du soir d'une blancheur cordiale.
Son lait fait l'Edam, les bonnes dents et les os en béton, gronde le maître au-dessus de la tempête blonde.
Alors que l'école fabrique le cancre et la dépression nerveuse.
Et que disent les statistiques?
Dans les écoles où la machine remplit son rôle de proximité, la déprime frappe moins qu'ailleurs. Par conséquent, le ministère de l'Éducation nationale encourage les directeurs d'écoles à multiplier les machines à café. Par décret, on autorisera l'enseignant au bord de la crise de nerfs à user du réconfort de ladite machine – ceci dans un but exclusivement pédagogique.
L'inspection académique recommande à l'enseignant de se mettre lui-même à la porte de la classe, puis de prendre son café avec un nuage de lait en attendant les secours.
Cette mesure n'exclut pas l'étude de l'orthographe, du calcul et de la vache qui est un mammifère à cornes mais aussi la femelle du taureau et la mère du veau.


Éditions Le Dilettante – 221 pages