Les riches d’un coté, même des anciens indiens qui ont fait fortune dans l’industrie ou les plantations de cannes à sucre, les domestiques, les pauvres de l’autre et les estivants étrangers qui viennent passer du bon temps du Blue Bay Palace, l’hôtel cinq étoile, Le Paradis.

Tout est raconté sur un ton comme si plus rien ne pouvait toucher Maya. Comme quand on raconte une histoire très ancienne ou qui concerne quelqu’un d’autre. On a vraiment le sentiment que toute cette histoire devait, comme le pense la narratrice, se terminer ainsi. Le «juste retour des choses, le retour de bâton. Comme un pressentiment. Pas normal qu’un homme beau et riche s’éprenne d’elle, une fille de rien du tout. » Elle est comme anesthésiée. Ce qui fait que je suis restée en retrait même si l’empathie pour Maya, joli papillon aveuglé par la beauté factice du luxe et de la vie facile, était bien présente. Jusqu’à un certain point.

Et puis il y a le récit de Dave. Là tout bascule. Cela commence à tomber dans le roman à l’eau de rose, dans les clichés, l’histoire d’un amour perdu. Pourtant on reste encore un peu accroché car Dave nous raconte sa vie : jeune homme, unique héritier d’un indien ayant fait fortune, le seul héritier, le poids des traditions indiennes, du système de castes qui fait qu’il ne peut pas épouser celle qu’il aime. On lui accorderait presque les circonstances atténuantes.

Mais bon, j’ai terminé cette lecture avec une impression assez étrange. Parfois, l’écriture est bien nette, soignée et puis tout d’un coup cela devient trop facile, relâchée comme si l’attention dans l’écriture n’avait pas pu être soutenue jusqu’au bout. J’ai trouvé un peu exagérée cette folie, cette violence qui explose. Le style en pâtit tout de même un peu. Est-ce pour souligner le côté laid, presque sordide de la situation que vit Maya ? Je ne saurais le dire.

Je ferme le livre et me dis que c’est dommage. Le tableau de cette société coincée entre tourisme de luxe et misère insoluble était si juste, si bien rendu. Il ne manquait pas grand chose pour que j’adhère totalement à ce récit. J’en viens à me demander si je n’aurai pas dû attendre un autre moment pour lire cet ouvrage. Je l’aurai peut être plus apprécié à sa juste valeur.

Du même auteur : Les rochers de poudre d'or, La noce d'Anna et Le dernier frère

Voir aussi l'interview de Nathacha Appanah accordée au Biblioblog

Dédale

Extrait :

Depuis son arrivée ici, mon père travaille au Paradis. Il est serveur dans un des quatre restaurant de l’hôtel et je crois qu’il est heureux comme ça. Il sert des langoustes géantes, des calamars sauce rouge, du poisson citronné où l’on voit encore les marques de la grille et des jus de fruits frais que les clients ne finissent jamais. Moi, je travaille à la réception de l’hôtel depuis un an et demi. Je porte l’uniforme des cadres de l’hôtel : jupe rouge, chemisier blanc façon mousquetaire et petit foulard. Je ne crois jamais mon père. Je préfère pas, je ne saurais quoi lui dire, moi dans mon uniforme de cadre et lui dan ce truc gris et trop chaud pour Blue Bay.

Pourtant , si on m’avait dit, il y a quelques années, que je travaillerais ici, je n’aurais pas voulu le croire. Je me rappelle que, petite, quand le village se vidait le matin et que des grappes d’hommes et de femmes se dirigeaient vers l’hôtel comme s’ils avançaient vers un châtiment certain, je me promettais autre chose. Ce que je souhaitais, c’était monter à la capitale, devenir fonctionnaire et travailler de neuf à quatre dans un de ces bureaux climatisés où l’on vous apporte le thé deux fois par jour. Ëtre fonctionnaire c’était, pour moi, la certitude de sortir de Blue Bay et la garantie d’un boulot à vie où je n’aurais pas à servir des touristes. Ou alors, mieux, je me voyais prendre l’avion et partir pour l’Angleterre, par exemple. La sœur de ma mère y est depuis des décennies et je me souviens d’une photo d’elle, assise sur une herbe verte et épaisse en uniforme d’infirmière avec, en arrière-plan, un bâtiment en brique rouge sur lequel est marqué Birmingham Nursing School. C’était ça, pour moi, l’Angleterre.

couverture
Éditions Gallimard – Continents noirs - 95 pages