Dédale : Tout d'abord, je tiens à vous remercier Nathacha pour avoir si gentiment accepté le principe de cette interview pour notre Biblioblog.
Presque tous vos romans se déroulent en terre mauricienne, votre pays d’origine. Etait-ce pour vous incontournable ? Ne craignez-vous pas d’être cataloguée par les éditeurs et même les lecteurs comme « auteur local » ?
Nathacha Appanah : Je dois avouer que je ne comprends pas très bien la question. Si je vivais dans un village et que tous mes livres parlaient de ce village et étaient édités dans ce village précis, peut-être à ce moment-là, aurais-je couru le risque d’être un « auteur local »… Mon premier roman se passe en grande partie en Inde, mon troisième roman se déroule à Lyon, je vis à Paris, les temps de mes textes sont différents d’un roman à l’autre, c’est pour cela que je ne vois pas très bien ce que vous voulez dire par « local ». Est-ce qu’un auteur comme Brigitte Giraud, par exemple, qui jusqu’à présent a situé tous ces textes en France, la considérez-vous comme « local » ? Idem pour Claudel, Marie N’Diaye et bien d’autres… Et Philip Roth, qui a bâti la grande majorité de ses textes, dans une communauté new-yorkaise (comme Paul Auster, d’ailleurs, bien que la communauté soit différente), diriez-vous qu’ils sont « locaux » ?
Dédale : Vos trois premiers romans ont été publiés chez Gallimard, dans la collection « Continent noir ». J'ai été assez surprise que Gallimard ait décidé à l'époque de vous publier sous cette collection. En effet, vous vivez en France depuis 1998, vous écrivez en Français et comme vous le soulignez dans La noce d'Anna, « L'exotique est toujours un peu un con, qui ne connaît pas les choses de ce monde, un gentil et un arriéré. » Le choix de Gallimard vous a-t-il agacé à l'époque et est-ce pour cela que vous revenez, aujourd'hui, sur le devant de la scène aux éditions de l'Olivier qui ne vous a collé aucune étiquette ?
Nathacha Appanah : Cela ne m’a pas agacé, j’avais un contrat sur trois textes et je l’ai respecté, tout simplement. Les éditions de l’Olivier n’ont pas de collection spécifique en effet, et c’est bien !
Dédale : Il y a un sujet qui revient souvent dans vos romans, c’est la notion d’exil. Les engagés indiens dans Les rochers de poudre d’or, Maya dans Blue Bay Palace, persuadée qu’elle quittera l’île…etc. Venue vous installer en Europe, avez-vous souffert de cet exil ?
Nathacha Appanah : Non, je ne suis pas une exilée, j’ai quitté mon pays volontairement et à la suite de hasards de la vie, je suis restée…
Dédale : Dans Blue Bay Palace, l’héroïne, Mary est persuadée qu’elle quittera le pays. Est-ce un sentiment que l’on éprouve forcement quand on habite une île ?
Nathacha Appanah : C’est un sentiment très personnel je crois. Je connais des personnes très heureuses qui n’ont jamais eu ce sentiment d’étouffement et d’autres qui passent leur temps à essayer d’aller voir ailleurs. Mais vous savez, je suis de plus en plus frappée comment les villes, les quartiers, les villages sont des îles. On veut les quitter, on veut y revenir, on veut changer d’air…
Dédale : Dans votre premier roman, Les rochers de poudre d'or et Le dernier frère, le dernier écrit, le fond historique est important. Raconter ces indiens engagés pour remplacer, dans l’ancienne colonie française passée dans le giron de l’Empire britannique, les anciens esclaves, n’était-ce pas pour vous la possibilité d’en savoir plus sur l’histoire de votre pays, sur vos racines ?
Nathacha Appanah : Inconsciemment, c’est probablement pour moi un moyen de vivre ce que je n’ai pas vécu, de faire mienne une histoire qui appartient à tout le monde. Les deux textes dont vous parlez, cependant, n’ont pas la même démarche. Je considère que Le Dernier frère a un point de vue plus intimiste, une voix très particulière qui fait que le roman est ainsi et pas autrement.
Dédale : Que diriez-vous aux personnes qui prendraient ces ouvrages comme des romans historiques, plus spécialement le premier qui aborde aussi le sujet de l’engagisme ?
Nathacha Appanah : Je leur dirai qu’il y a des choses bien mieux qui existent sur ces sujets et que je suis une romancière, mon but n’est pas de dire une vérité implacable mais d’être au plus juste des choses et dans la plus grande sincérité qui soit.
Dédale : Ces romans ont-ils nécessité quelques recherches de documentation ? Comment avez-vous procédé ?
Nathacha Appanah : Je tourne beaucoup autour de mes textes et pendant cette période, avant de me mettre au travail, je lis énormément. Des textes qui me donneront des détails précis que je recherche - par exemple pour mon premier roman, je voulais savoir exactement à quoi ressemblais une trousse de médecin à la fin du 19ème ou pour le Dernier frère, je voulais connaître l’organisation spatiale de la prison (où se trouvaient les femmes, où se trouvait le mur). Ce dernier point n’est pas très important dans le livre mais pour moi, il l’était. Je lis également de la fiction. Des choses spécifiques - je suis alors d’une méticulosité effrayante que je ne m’explique moi-même, je choisis comme par instinct des auteurs, des essais et j’en rejette d’autres car je ne veux me disperser.
Dédale : Lors de mes lectures, j’ai été étonnée par votre capacité à écrire, toujours dans un style simple sans fioriture, avec toujours le mot juste, autant sur l’amour, la tendresse – je prends pour exemple le superbe portrait de la mère de Raj – que sur la violence ; surtout celle du père de Raj ou celle de Maya.
Est-ce que vous pouvez écrire ces émotions dans la suite du récit ou avez-vous besoin de les écrire à des moments bien distincts ? Pouvez-vous être « détachée » des sentiments que vous décrivez ?
Nathacha Appanah : C’est une question intéressante à laquelle je n’ai malheureusement pas de réponse qui soit à la hauteur. Je suis, a priori, détachée des sentiments que je décris mais je ne suis jamais loin. En général, j’écris ces moments-là dans la suite du récit.
Dédale : Dans Les rochers de poudre d’or, il y a plusieurs portraits de ces engagés embarqués à bord de l’Atlas. Est-ce que cette structure à « plusieurs chemins » s’est imposée toute seule, si évidente pour vous ?
Nathacha Appanah : Oui, elle était plus qu’évidente, elle était nécessaire ! Je n’avais jamais écrit de roman auparavant et casser comme cela le texte avec des voix différentes me permettait de mieux me préparer, d’être plus courageuse en somme…
Dédale : Dans Le dernier frère par contre, seul Raj raconte. Son ami David pourtant personnage important est pratiquement silencieux. C’est un peu frustrant pour le lecteur. Pourquoi avoir fait le choix d'écrire une histoire à une seule voix ?
Nathacha Appanah : C’est un choix qui s’est imposé et je pense que donner une voix à David, lui faire raconter l’intimité de son drame serait indécent de ma part.
Dédale : J’ai lu un jour que vous aviez commencé à écrire très tôt. Pourriez-vous nous dire comment cela a commencé ? Le parcours pour être publié a-t-il été difficile ? Et le fait d’être enfin publié n’a-t-il été possible qu’après votre arrivée en Europe ? Ou était-ce deux événements totalement indépendants ?
Nathacha Appanah : J’ai en effet commencé à écrire tôt mais j’écrivais pour écrire. Jamais je n’ai pensé être éditée, je pense que les premières années quand j’écrivais, je ne savais même pas ce que cela voulait dire. J’ai écrit mon premier roman en 2000-2001 et je l’ai envoyé par la poste. Si j’étais restée à l’île Maurice, j’aurais également envoyé par la poste car il y a des auteurs mauriciens qui sont édités en France et qui vivent à Maurice.
Dédale : Vous faites une description sans concession de Mahébourg, la ville capitale de l’île Maurice où vous êtes née. Est-ce si laid que cela ? Ou est-une fiction ? Vouliez-vous, consciemment ou non, « casser » le beau tableau d’île paradisiaque ?
Nathacha Appanah : Mahébourg n’est pas la capitale de Maurice. (C’est Port-Louis) Et je dois avouer que c’est une ville charmante…
Dédale : La noce d'Anna, votre troisième roman, a été publié quand vous aviez 32 ans., à mi-parcours d'Anna (23 ans) et Sonia (42 ans), vos deux héroïnes. De laquelle vous êtes-vous sentie le plus proche? A-t-il été difficile de se projeter dans les pensées d'une mère-célibataire ayant atteint la quarantaine?
Nathacha Appanah : De Sonia probablement. J’ai toujours envisagé l’écriture comme étant une démarche d’incarner un autre, loin ou près de soi mais un autre quand même. Comme pour Raj, mon but était la justesse et la sincérité. Et ça c’est pas facile, bien sûr mais ce n’est pas spécifique à la Noce d’Anna.
Dédale : Dans ce roman vous évoquez longuement les questionnements et angoisses de l'écrivain. Vous faites notamment dire à Sonia : « On va se rendre compte que je ne suis qu'une tricheuse, une voleuse de vie, une pie de mots ». L'écriture est-elle à ce point vampirique?
Nathacha Appanah : Je crois que choisir une vie faite d’écriture, c’est choisir d’être toujours en doutes, sur un fil tenu. C’est parfois pas facile mais quand les livres trouvent des lecteurs, c’est formidable !
Dédale : De même, Sonia a à un moment donné eu peur que l'écriture l'emporte dans la folie. Avez-vous également connu ce danger?
Nathacha Appanah :Non, mais il y a des moments de vertige par exemple, quand vous écrivez une scène précise, soit difficile par ce qu’elle décrit, soit par ce qu’elle réveille en vous et qui vous chavire…
Dédale : A ce jour, vous avez écrit 4 romans. Pourriez-vous écrire des nouvelles ou du théâtre ? Sans trahir le secret, avez-vous déjà un projet en cours ?
Nathacha Appanah : J’ai déjà écrit des nouvelles, du théâtre pourquoi pas mais j’ai encore soif de romans, de ce genre-là. Et malheureusement, je n’ai pas de projet en cours, je suis dans ma phase « lecture méticuleuse » !
Dédale : Voilà, nous en avons terminé avec cette interview. Je vous remercie encore une fois pour vous être prêtée à ce jeu de questions. J’espère que vous avez passé tout comme moi un très bon moment.
Commentaires
dimanche 4 novembre 2007 à 15h57
Je n'ai encore rien lu de Natacha Appanah mais je crois qu'après cette interview forte intéressante, je vais devoir m'y mettre!
dimanche 4 novembre 2007 à 19h56
Merci Dédale pour cette interview. Je trouve qu'il n'est pas toujours facile d'atteindre les romanciers dans leur univers, et tu t'en es très bien sortie.
dimanche 4 novembre 2007 à 20h30
Merci Emeraude. J'espère que tu ne seras pas déçue et que tu viendras nous raconter par la suite

Laurence :
lundi 5 novembre 2007 à 11h18
Il me tarde de découvrir cet auteur qui a eu la gentillesse de répondre à ton interview que je trouve très intéressante, merci Dédale !
lundi 5 novembre 2007 à 14h25
Voilà qui ravive mon envie de découvrir "Le dernier frère". Bravo.
mardi 6 novembre 2007 à 18h24
J'ai rencontré en septembre l'auteur lors d'une interview / séance de dédicace qu'elle donnait dans une Fnac et je dois dire que c'est une femme charmante et pleine de douceur. J'ai bien évidemment lu Le dernier frère que j'ai adoré. L'histoire est magnifique, l'écriture fluide. J'ai bien envie de lire d'autres romans de Nathacha Appanah.
Merci pour cette interview qui m'en apprend encore un peu plus.
mardi 6 novembre 2007 à 18h43
Très intéressant, surtout après avoir lu son livre. Merci pour cet interview
dimanche 17 février 2008 à 13h08
le dernier frere est un livre tres interessant et tres emouvant
j'ai vraiment adorer je le conseil fortement !!
vendredi 5 juillet 2013 à 18h13
l'Association des amis de la bibliothèque universitaire des Antilles Guyane et la région Martinique organisent un "salon du livre de Martinique: les mondes créoles" en décembre 2013. Pour cela nous cherchons à avoir les coordonnées de Natacha Appanah afin de l'inviter. Des contacts ne nous ont pas permis jusqu'ici à l'avoir. Pouvez vous nous aider?
Merci de votre réponse.
Anique Sylvestre