La construction de ce roman est superbe et complexe, comme peut l’être celle d’un tunnel sous un fleuve. L’histoire est organisée en deux parties qui vont en parallèle. Peu à peu, on découvre combien elles sont imbriquées.

La première se déroule dans le New York du début de XXème siècle. On plonge dans les ténèbres des chantiers de construction, de creusement des premières lignes de métro de la ville sous l’East River. Des noirs, dont Nathan Walker, des hommes venus de tout les Etats-Unis et du monde travaillent à ces chantiers titanesques, dangereux. La promiscuité et le danger sont le terreau d’une solidarité pleine et entière entre ces hommes. Le lien qui les unit, ainsi que leurs descendants, tiendra sur plusieurs générations.

On partage avec ces familles la vie de la grosse pomme, celle de Harlem, une vie de misère, sous les lois raciales mais où l’amour de son prochain n’est pas un vain mot.

Ensuite, il y a Treefog, un homme chargé d’un lourd secret. Un jour, il décide de le cacher dans les ténèbres immondes du métro des années 90. On partage sans ménagement sa vie de misère, de dangers, la drogue, la violence, les rigueurs d’un hiver infernal. On réalise avec horreur combien ils sont nombreux à vivre le même sort. Ces oubliés corps et âmes dans un monde obscur, sordide.

Dire qu’il s’agit là d’un excellent roman est un doux euphémisme. Il est envoûtant, captivant, aucun temps mort, intense. Il déborde d’humanité – dans tout ce qu’elle peut avoir de lumineux comme de plus noir, de plus sombre. !! C'est dur, noir, mais très réaliste.

Il est impossible de résumer ce roman, les liens entre les personnages sans en dévoiler ses charmes. Difficile aussi de faire passer en mots sa puissance rare. Je laisse ce talent à l’auteur. A la fin de votre lecture, Nathan, Eleanor, Treefog, pour ne citer qu’eux, vous accompagnent encore un bon moment. Les personnages sont tous superbes, même si certains atteignent le fond du fond, sont crasseux de boue des tunnels ou de pauvreté. Mais ciel comme ils sont beaux !!!

Un véritable coup de cœur. Ne passez surtout pas à côté !!

Du même auteur : Et que le vaste monde poursuive sa course folle, Ailleurs, en ce pays

Dédale


Je ne peux qu’aller dans le même sens que Dédale : j’ai beaucoup aimé ce livre, beaucoup apprécié ma lecture.

D’une part, on découvre le New York de la pauvreté et de l’exclusion à différentes époques à travers des personnages attachants. La relation entre Nathan et Eleanor est belle, émouvante, troublante. Certaines scènes du livre sont renversantes de beauté, d’autres d’une tristesse infinie (dont une scène à propos du racisme endémique entre Éleanor et son fils aîné dont je me rappellerai longtemps !).

J’ajouterais que ce livre m’a aussi touché parce qu’il parle des Troubles obsessifs compulsifs, un sujet qui m’intéresse beaucoup. Il est arrivé dans ma vie au moment où je me demandais si des romans abordaient cette question. À travers le personnage de Treefrog on rentre dans cet univers particulier.

Une belle découverte !

Par Catherine
le 04 décembre 2007


A mon tour d'ajouter mon commentaire, qui va également dans le sens de ceux de Dédale et Catherine.
Ce roman, parfaitement réaliste, dépeint un univers que je ne m'attendais pas à arpenter. Fais toucher du doigt une misère qui nous est inconnue. Met à notre portée la douleur et la peur, la honte et l'humiliation, mais aussi la fierté, l'honneur, l'amour, le désir...

Merci à Catherine de m'avoir envoyé ce magnifique roman que je n'aurais certainement jamais ouvert de moi même. Ça m'a fait sortir des univers que je fréquente habituellement et m'a tout autant intéressé :)

Pour finir, si je devais qualifier cet ouvrage, j'en sortirais le fait que l'on passe d'un extrême à l'autre, du fond des tunnels, où l'homme est vulnérable, à la cime des gratte-ciels, où l'homme est un conquérant. « C'est ici le combat du jour et de la nuit ! » s'écriait Victor Hugo. C'est tout à fait l'impression que me laisse ce roman. Un affrontement permanent entre l'ombre et la clarté, entre les protagonistes, entre les hommes, et à l'intérieur de chacun.

Par Cœur de chene
le 06 janvier 2008


Eh bien je vais aller dans le même sens que les précédents lecteurs : ce roman est un très bon roman. Il contient tout ce que je peux attendre d’un grand roman : la description de milieux sociaux inconnus (ici, les marginaux qui vivent dans les tunnels du métro de New York), une épopée romanesque, avec la vie de Nathan Walker, l’ancrage dans la réalité sociale de son temps (les conditions de travail des ouvriers, la ségrégation,...). C’est un roman noir, dans le sens où un suspens est maintenu tout au long du livre, mais surtout car il dépeint la vie des opprimés, qu’ils soient SDF ou noirs.

Bref, une histoire captivante, avec une écriture très intéressante, mais surtout un schéma narratif qui sort du commun.

Merci beaucoup à Dédale d’avoir fait de ce livre un livre voyageur, car il le mérite bien.

Par Yohan
le 02 mars 2008


Extrait :

Rhubarbe Vannucci et Sean Power installent une cage à pigeons sur le toit de l’immeuble de Vannucci dans le Lower East Side – une cage en bois avec deux ouvertures coulissantes et le dessus en grillage. Il y a eu des vols, récemment, alors Vannucci a plongé ses pigeons dans des bacs de teinture éclatante qu’il s’est procuré dans une fabrique de vêtements. Il les a trempés entièrement, sauf la tête. Même le dessous des ailes a absorbé la couleur. Ils s’ébattent dans le ciel avec leur plumage d’un orangé violent. Ainsi, n’importe qui dans le quartier peut immédiatement reconnaître un pigeon Vannucci. On dirait des pelures d’orange fendant les cieux de Manhattan.

Sean Power, lui, décide de peindre les siens en bleu vif. Les plumes qu’ils perdent font un fabuleux collage sur la terrasse du toit.
Un matin de juillet, les deux hommes organisent une course de pigeons, et chacun parie deux dollars que son pigeon va gagner.

Nathan Walker et Eleanor O’Leary veulent bien se charger d’emporter les volatiles sur le mont de Brooklyn et de les lâcher de l’autre côté du fleur. Les deux jeunes gens avancent en zigzaguant sur leurs bicyclettes. Les cheveux d’Eleanor coulent derrière elle comme un torrent. Walker a installé les deux cages en équilibre sur le porte-bagages. Ils pédalent en un tandem insolite. Leur randonnée tient de la valse. Chaque fois qu’elle le peut, Eleanor roule sur les bandes d’ombre de la route, sans que ses pneus débordent. Et Walker joue à éviter cette ombre-là. Il regarde Eleanor lâcher son guidon des deux mains, bras écartés : elle vacille un petit peu mais réussit à maintenir le vélo à l’intérieur des longs rubans sombres.

Quand ils arrivent à l’autre bout du pont, Eleanor appuie sa bicyclette contre celle de Walker. Ils étalent une couverture par terre pour manger leur pique-nique avant de libérer les pigeons : une bouteille de Coca-Cola, une barre de chocolats, et du cheddar avec du pain.

Eleanor touche le bras de Walker pour lui montrer les oiseaux dans leur cage – l’un bleu, l’autre orangé et tous deux se mettent à rire.



A leur retour chez Vannucci, les cyclistes trouvent les deux parieurs en fureur. Chacun a dans les mains un pigeon qui vient d’être peint en mi-bleu, mi-orangé.

Ils se disputent pour savoir quel pigeon est à qui et qui doit deux dollars à l’autre. Sur le toit de l’immeuble, Walker et Eleanor se tordent de rire.

couverture
Éditions 10/18 - 321 pages