"Tous les personnages de ce livre existent. À leur façon. Comme ils peuvent. Je les connais ou les ai connus; je les ai croisés dans la rue; j'ai entendu parler d'eux; on m'araconté leur histoire. J'en ai fait des héros de la vie ordinaire, unis dans une même solitude et un même désir : celui de devenir super-héros."

Laurent Graff explique donc en ces mots le projet de ce livre. Et autant le dire de suite, nous sommes très éloignés de son roman Le cri.

Ici, l'auteur s'immisce dans le quotidien de monsieur tout le monde pour en dévoiler toute la misère et la médiocrité. Il n'y a pas vraiment d'histoires, mais une succession d'épisodes, comme si une caméra avait volé des instants de vie : La vie de mon voisin, la vie de Cow-boy, la Vie d'artistes etc...

L'écriture est âpre, crue, dérangeante.
Laurent Graff prend apparemment plaisir à nous bousculer. Ici, point de récits qui font rêver ou fantasmer. Au contraire. Les protagonistes de La vie sur Mars sont des anti-héros, des personnage pitoyable ou exécrables. On ne les aime pas; on n'éprouve aucune sympathie pour eux; à la limite ils sont tout ce que l'on redoute d'être un jour.
Cette sensation est d'ailleurs renforcée par la brièveté des récits. Laurent Graff ne laisse aucune chance à ses protagonistes de sortir de la médiocrité.

L'avant dernier chapitre marque une rupture dans cet état des lieux de vilenie. On devine les prémices de l'écriture du Cri. Tout à coup, l'empathie devient possible, impérative même. Cela tient à l'épisode qui nous est narré, bien sûr, mais aussi à la construction de l'ensemble. On a tellement détesté les "héros" qui précèdent que l'on s'abandonne sans aucune retenue au dernier narrateur. Sa douleur nous paraît d'autant plus insoutenable.

Mais voilà... même si le livre est assez court (107 pages), combien de lecteurs iront jusqu'au bout de l'entreprise. Combien dépasseront l'écœurement premier et auront le courage de lire la misère et la médiocrité dans ce qu'elles ont de plus repoussant?
Je fais partie de ces lecteurs qui n'abandonne un livre que très rarement. Pourtant, j'ai été tentée de le faire avec celui-ci, et l'avant-dernier chapitre ne m'ôte pas pour autant cet arrière goût amer et désagréable.

Lire aussi l'avis de Stéphanie

Également sur le site, notre interview de Laurent Graff.
Du même auteur : Il ne vous reste qu’une seule photo à prendre , Le cri, Il est des nôtres, Les jours heureux, Voyages, voyage, Selon toute vraisemblance

Laurence

Extrait :

Pour ne pas sombrer dans le désespoir, Marco Tagadda va chercher deux fois par ans réconfort et bonheur à l'étranger. Il est des pays où la séduction est nettement facilitée dès lors qu'on est occidental, question de prestige. Il parle très mal anglais, s'énerve rapidement et repasse au français sans se soucier d'être compris. Fidèle à ses principes, il rechigne à payer, ce qui le déprécie quelque peu en tant qu'occidental. Il trouve malgré tout satisfaction et son répertoire s'enrichit d'année en année de noms et de numéros de téléphones exotiques. Il consulte sa montre pour connaître les heures locales à Vientiane, Anananarivo ou Boca Chica et il a une pensée pour Nang, Maevatanana ou Carmelita. Montre toujours en main, il les appelle alors qu'elles rentrent chez elles après une journée de travail, s'imagine-t-il. La liaison satellite est mauvaise, elles entendent mal, la conversation est chaotique, il répète : "C'est Marco?. - What? Who Phone?" Inutile d'insister, il réessaiera plus tard. Quand même, il est content, ça fait plaisir d'entendre quelqu'un que l'on connaît, qui vit à l'autre bout du monde.

couverture
Éditions du Rocher collection Motifs - 107 pages