Wellington, le grand caniche noir de la voisine, Mme Shears, a été tué pendant la nuit. Le jeune Christopher, souffrant d’une sorte d’autisme, décide de résoudre ce problème, le hic, c’est qu’il n’est jamais allé plus loin que le bout de sa rue…
Il aime les nombres, les mathématiques, les plans et les cartes, tout ce qui est rangé, quantifiable et organisé, et il dit toujours la vérité. Il déteste par-dessus tout les expressions imagées, qu’il ne comprend pas, et tout ce qui n’est pas réel ou qu’il ne peut pas toucher.
Christopher enquête et écrit les résultats de ses investigations dans un cahier pour faire un livre… Lorsque son père tombe accidentellement sur ce livre, il somme Christopher d’arrêter ses rechercher, mais ce dernier persiste, au risque de mettre en péril et de bouleverser tout son univers, tout ce qu’il a toujours cru vrai.

L’aventure que nous lisons est en fait le récit écrit par Christopher, avec sa propre vision des choses, sa logique et ses incompréhensions. C’est la vie et l’univers d’un enfant handicapé en conflit avec un monde qu’il ne comprend pas, qu’il n’appréhende même pas. Mais surtout c’est un formidable témoignage sur la différence.
Hormis les nombreuses informations émaillant le roman (par exemple, les numéros des chapitres ne sont que des chiffres premiers, ou encore la carte du métro londonien), le rendant d’ailleurs tout à fait crédible, j’ai souvent été agacé par les réactions de Christopher. Et c’est là qu’est pour moi l’intérêt. Se retrouver plongé dans un univers connu, quotidien, mais vu par les yeux d’une personne pour qui cet univers est incompréhensible, c’est toute une remise en question qui s’opère. Sur la société, les rapports entre les êtres, les valeurs partagées par les gens, les mensonges quotidiens, la surcharge publicitaire, le langage imagé, voire métaphorique, les comportements, tout y passe.
Il y a également de l’humour mais involontaire (de la part de Christopher). Ce sont les situations dans lesquelles il se met qui sont parfois cocasses.

Enfin, il y a cette quête, banale au départ, mais qui tout à coup prend une dimension extrêmement personnelle, obturant complètement, à un moment, l’intrigue du départ pour donner au personnage une dimension psychologique nouvelle et ouvre de nouveaux horizons.

Il serait dommage d’en dire plus sans dévoiler toute l’intrigue, aussi je ne peux plus que vous encourager à l’ouvrir, par curiosité, par plaisir, pour essayer quelque chose de nouveau et peut-être sortir du roman en posant un regard neuf sur le monde.

Par Cœur de chene

Extrait :

Chapitre 41

Il y avait des nuages dans le ciel quand nous sommes rentrés à la maison, alors je n’ai pas pu voir la Voie Lactée.
J’ai dit : « Je suis désolé », parce que Père avait dû venir au commissariat et que ce n’était pas bien.
Il a dit : « Ce n’est rien. »
J’ai dit : « Je n’ai pas tué le chien. »
Il a dit : « Je sais. »
Puis il a dit : « Christopher, tâche d’éviter les ennuis, tu veux ? »
J’ai dit : « Je ne savais pas que j’allais m’attirer des ennuis. J’aime bien Wellington et je voulais lui dire bonjour. Je ne savais pas que quelqu’un l’avait tué. »
Père a dit : « Evite de te mêler des affaires des autres, c’est tout. »
J’ai réfléchi un moment et j’ai dit : « Je vais découvrir qui a tué Wellington. »
Père a dit : « Tu as entendu ce que je viens de dire, Christopher ? »
J’ai dit : « Oui, j’ai entendu, mais quand un crime a été commis, il faut trouver le coupable pour qu’il soit puni. »
Il a dit : « Ce n’est qu’un chien, Christopher, rien qu’un chien. »
J’ai répondu : « Je trouve que les chiens, c’est important aussi. »
Il a dit : « Arrête. »
J’ai dit : « Je me demande si la police va découvrir qui l’a tué et si elle va punir le coupable. »
Alors Père a donné un coup de poing sur le volant et la voiture a fait une embardée de l’autre côté de la ligne discontinue, au milieu de la route, et il a crié : « Je t’ai dit d’arrêter, bon sang. »
J’ai compris qu’il était en colère parce qu’il criait, et comme je ne voulais pas le mettre en colère, je n’ai plus rien dit jusqu’à ce que nous soyons arrivés à la maison.
Nous sommes entrés par la porte de devant, je suis allé à la cuisine et j’ai pris une carotte pour Toby. Je suis monté, j’ai fermé la porte de ma chambre, j’ai fait sortir Toby et je lui ai donné la carotte. Puis j’ai branché l’ordinateur, j’ai fait 76 parties de Minesweeper (comprendre « Démineur ») et j’ai réussi la version avancée en 102 secondes, soit 3 secondes seulement de plus que mon record, qui était de 99 secondes.
A 2h07, j’ai eu envie d’un jus d’orange avant de me brosser les dents et d’aller me coucher, alors je suis descendu à la cuisine. Père était assis sur le canapé, il regardait la télévision et buvait du whisky. Des larmes coulaient de ses yeux.
J’ai demandé : « Tu es triste à cause de Wellington ? »
Il m’a regardé longtemps, il a aspiré de l’air par le nez. Puis il a dit : « Oui, Christopher, il y a de ça. Il y a de ça, c’est vrai. »
J’ai préféré le laisser seul parce que, quand suis triste, j’aime mieux rester seul. Alors je n’ai plus rien dit. Je suis allé à la cuisine, je me suis fait un jus d’orange et je l’ai monté dans ma chambre.


Éditions Pocket - 345 pages