Anna Lambert avait fait un enfant à l’Argentin Rafael Escalante avant de le suivre vers le Sud et d’y perdre la tête. La mère de Paul se suicide quand il est enfant et débarque alors dans sa vie Leda, la belle-mère cubaine, à la fois impossible et érotisante. Quand Paul retourne en Argentine des années plus tard, c’est pour retrouver Leda et entendre de sa voix que son héritage l’attend dans un trou perdu du pays. Paul ira pour le fric, mais y trouvera un pays en perdition, transi de corruption. Il y trouvera aussi une superbe maison dans la montagne habitée par une superbe femme nommée Poma. Est-ce un piège du défunt pour son fils indigne ? Est-ce un message d’outre-tombe ? Est-ce vraiment de l’argent que Rafael Escalante voulait laisser à son fils en héritage ?
J’ai aimé ce roman déstabilisant. Je l’ai aimé pour la richesse de la langue, la poésie, pour les personnages en zones grises aussi. Personne dans ce roman n’est tranché, toutes les couleurs sont à la fois vives et paradoxales. Comme si la saison des pluies nous plongeait dans un éternel brouillard. J’ai donc aimé ce roman qui est déstabilisent de par sa forme narrative (les chapitres sont, l’un après l’autre, soit à la première personne soit à la troisième personne), déstabilisant par ses propos aussi dont l’érotisme rejoint souvent une lubricité qui par moment m’a même choquée, moi qui me pensais plus solide. Ce qui m’a choquée (et je le dis comme une force de l’ouvrage) c’est justement le fait que la lubricité n’est pas chirurgicale, plastique, froide, comme peut l’être la pornographie, le va-et-vient est constant entre la tendresse et la violence du désir souvent inavouable.
C’est aussi un ouvrage psychologiquement très fin où, en trame de fond, on retient clairement que faire son deuil c’est aussi accepté que son parent vit en nous, parfois beaucoup plus solidement qu’on aurait pu le souhaiter.
Par Catherine
Extrait :
Après avoir enfilé la robe de chambre ayant appartenu à son père, il quitta la chambre. De long en large, tel un lion en cage, il se mit à arpenter le salon avec deux petites boules musicales chinoises dans la main droite. En suivant le sens des aiguilles d’une montre, il les faisait tourner comme des toupies. Lui-même aurait voulu les imiter, ces deux boules-là, à la manière d’un derviche tourneur. C’était un cadeau de Telma dont il ne se séparait plus. Bien nichées dans la poche de sa veste en cuir, elles l’accompagnaient partout où il allait comme des fétiches, et le soir elles rejoignaient sa montre-bracelet et son sans-fil sur la table de nuit. Telma lui avait révélé qu’elles lui porteraient bonheur tout en le protégeant contre le mauvais œil. Mauvais œil, c’était bien ce qu’elle avait dit. Elles avaient des vertus médicinales qui activaient la circulation du sang et apaisaient l’esprit, lorsque l’esprit s’agitait pour rien, comme c’était souvent le cas, au dire de la Péruvienne. C’est fou ce que l’homme fait pour se donner l’impression qu’il existe, disait-elle dans ce langage énigmatique qu’elle employait quand ses semblables épuisaient sa foi.
Éditions XYZ - 288 pages
Commentaires
jeudi 13 décembre 2007 à 03h31
Gagner le Sud pour tout perdre...
«Un café dans le Sud» de Daniel Castillo Durante est, en effet, un roman qui «déstabilise», c’est-à-dire qui subvertit, à plusieurs niveaux, la «norme». Non seulement s’en dégage-t-il une sensualité et un érotisme particulièrement intenses mais aussi, et surtout, cherche-t-il à remettre en question le discours stéréotypé à partir d’un personnage qui ne se conforme pas à l’image que l’on s’attendrait de lui; comme le Quichotte de Cervantès, Pablo Escalante-Lambert est en quête d’une vérité que la réalité brouille au fur et à mesure qu’il avance. En quittant l’espace canadien pour l’Argentine, Paul s’engage – tel un hidalgo – dans une quête qui, du Nord vers le Sud, le conduit vers quelque chose qui est de l’ordre d’une déprise, si l’on peut dire. Plutôt que de mettre la main sur un héritage tangible, le parcours qu’entreprend le protagoniste aboutit en dernière instance à une perte. À vouloir à tout prix mettre la main sur l’héritage que son père lui a légué, Pablo Escalante-Lambert finit par se perdre dans les méandres d’un pays que l’argent a fini par corrompre. Cette mise à l’épreuve par l’exil entraîne le personnage à tenter de «récupérer» le «père» en se «per-dant». Au fond, Paul «es-père» dans sa démarche renouer avec la mémoire de son père comme si chercher à s’approprier les dépouilles testamentaires de ce dernier c’était aussi à certains égards entrer en dialogue avec lui. La curiosité exacerbée du fils est donc ce qui contribue à faire de lui un personnage dépouillé dans tous les sens du terme; en gagnant le Sud, le protagoniste a non seulement perdu le Nord mais «tout» ce dont il possédait; son identité (nord-américaine), ses économies, son tout-terrain et même son cellulaire! En somme, Pablo Escalante-Lambert est une véritable représentation du anti-héros, de celui qui a tout perdu y compris lui-même. Entre l’incipit et l’épilogue, le lecteur assiste donc à l’«altération» du personnage principal, à sa métamorphose en paria en quelque sorte.
Enfin, «Un café dans le sud», est un roman qui se donne à lire comme une parole migrante où la richesse de la langue et l’humour décapant vient sporadiquement alléger la tension dramatique maintenue du début à la fin. Qu’on ne se méprenne pas, il ne s’agit nullement d’un triller où l’unique suspense réside dans le destin prévisible des personnages mais d’un roman de la route qui, en dépeignant les couleurs, les saveurs et les savoirs venus d’ailleurs – en l’occurrence de l’Argentine – pose le rapport au père comme enjeu principal; un rapport conflictuel que même la mort ne semble pas pouvoir résoudre.
lundi 24 mars 2008 à 18h23
'L’arôme du café à la cannelle précéda l’arrivée de Poma. Le nez de Paul huma avec gourmandise ce parfum subtil et exquis sorti des entrailles de la gousse. À ce moment précis, encore une fois, il eut le sentiment de comprendre, ne serait-ce que pendant quelques fractions de seconde, le sens de son voyage dans le Sud, juste pour ce café, rien que pour lui. Les yeux mi-clos, il passa ses deux mains sur sa barbe hirsute en cherchant peut-être à confirmer qu’il était bien en vie, et que ce bonheur-là n’obéissait pas à une fantaisie de son imaginaire.' Cette citation donne le ton au roman Un café dans le Sud qui entraîne le lecteur dans un long périple entre l’Argentine et le Québec. Autour de la figure de Paul gravitent des personnages féminins pétris de sensualité. Telma dialogue avec Paul en empruntant les voies d’une mémoire d’enfant meurtrie. Leda incarne la féminité tout en se prêtant aux phantasmes de Rafael, le père de Paul. Daniel Castillo Durante nous expose finement les rituels s’inscrivant dans l’interaction entre l’homme et la femme dans les mers du Sud. Lumy incarne l’anonymat des enfants où la prostitution ruine une enfance marquée par la pauvreté. Poma tient le rôle d’une femme énigmatique qui remet en question l’éducation québécoise du protagoniste. Daniel Castillo Durante nous raconte avec beaucoup d’émotion et de retenue tout à la fois la précarité de la vie en soulignant les malentendus qui règnent entre l’homme et la femme. Le lecteur est envoûté par cette écriture si riche en intensités. Le narrateur nous captive en posant l’énigme d’un testament qui finira peut-être par engloutir Paul. D’ailleurs, les roulements de tambour d’Amancio, l’ami de Poma, expriment à leur manière les incertitudes de Paul et sa crainte de découvrir la figure du père. Socrate posait des questions sans y apporter des réponses. La quête du 'Padre' repose-t-elle sur le désir de soulever le masque ou de l’effleurer sans jamais vouloir le remettre en question?