Tout juste majeur, Antoine était déjà fort préoccupé par sa mort, puisque sa première réelle dépense fut pour l'achat d'une concession dans le cimetière de sa commune, et d'une pierre tombale qui l'ornera.
Après avoir cherché longtemps LA phrase à graver sur la dite-pierre, il se retrouve par le coup du sort, riche héritier. Il décide alors de tout plaquer (femme, enfants, travail) pour s'installer en maison de retraite. C'est donc au milieu de ses co-résidents octogénaires qu'il attend patiemment son dernier jour.

Avec Le cri j'avais déjà constaté que Laurent Graff avait un talent tout particulier pour traiter, de façon décalée, des sujets habituellement tabous.
La aussi, si la mort est le thème central de ce récit, il nous la raconte de telle façon que l'on ne verse jamais dans le pathos. Bien au contraire.
Le texte fait preuve d'un dynamisme et 'un humour qui permettent au lecteur d'avancer sans peine, tout en le poussant à se poser les bonnes questions.
Laurent Graff brosse un portrait des résidents à la fois tendre et caustique, et l'on s'attache à eux comme s'ils nous étaient familiers.

Dans le dernier quart du récit, le face à face entre Antoine et Mireille marque un changement de tonalité. Dans une société de plus en plus en aseptisée, où la mort est totalement reniée, la vieillesse cachée, le roman de Laurent Graff nous interroge sur nos peurs. L'écriture se fait plus sérieuse et émouvante. Mais Laurent Graff a plus d'un tour dans son sac, et comme pour "Le Cri", il réserve à son lecteur une dernière surprise.

Même si j'ai vécu cette lecture moins intensément que celle du Cri, j'ai retrouvé les talents de conteurs de Laurent Graff et la tournure surprenante de ses histoires.

Voir aussi l'avis de Stéphanie

Également sur le site, notre interview de Laurent Graff.
Du même auteur : Il ne vous reste qu'une photo à prendre, Le cri, La vie sur Mars, Il est des nôtres, Voyages, voyage, Selon toute vraisemblance

Laurence

Extrait :

Il fallut d'abord convaincre le directeur, M. Révelli, dans un premier temps, que je n'étais pas fou - "Mais c'est dans un asile que vous devriez vous faire interner, mon vieux !" -, ce qui ne fut pas évident; dans un deuxième temps, de bien vouloir me prendre à l'essai, à titre exceptionnel, moyennant majoration du tarif en vigueur, ce qui fut, à ces derniers mots, plus facile à admettre. La période d'essai s'avéra concluante. Je me montrais un pensionnaire exemplaire, abstraction faite de mon âge, discret, valide, se pliant sans rechigner à la vie de la Maison, en somme, comme M. Révelli aurait souhaitait qu'ils fussent tous. Aussi je fus adopté, sans que mon statut soit jamais officiellement défini. On m'autorisa à rester, avec toujours la possibilité de me demander de quitter les lieux dans l'heure qui suit.
Le personnel me prit d'emblée pour un cinglé et s'inquiéta de ma présence. Je remettais en cause la vocation des Jours heureux et on délégua des représentants auprès du directeur. Monsieur Révelli expliqua le caractère exceptionnel de l'affaire et demanda aux employés de me considérer un peu comme l'idiot de la maison - "Enfin, vous voyez ce que je veux dire" -, l'animal curieux, le jardiner, le fou du village, le tendre pas méchant - " Un peu de pitié, enfin!". Il rassura tout le monde, mon cas était unique, il ne peut pas y avoir plusieurs idiots.

couverture
Éditions Le Dilettante - 140 pages