Il aura suffit de 15 jours de vacances passées sur les routes américaines, pour que Jim Nashe se transforme en "drogué" de la conduite. Il abandonne tout derrière lui et se laisse guider par le hasard.
C'est ainsi qu'il rencontre Jack Pozzi, petit joueur de poker, et qu'il tente le tout pour le tout : jouer les derniers dollars de son héritage sur une seule partie de cartes. Mais les adversaires de Pozzy, deux milliardaires excentriques, ont imaginé un contrat bien étrange pour obliger Jim et Jack à honorer leurs dettes.

Ce roman est absolument fascinant. Le road-movie, assez court, du début du récit, fait place à un huis-clos oppressant et absurde. Paul Auster nous dévoile la succession des événements à travers les yeux de Jim Nashe. Cette perception subjective est d'autant plus angoissante que Jim subit son sort avec un fatalisme déconcertant.
Alors que le temps paraît s'écouler très lentement, une multitude de scènes viennent frapper l'imagination du lecteur. Il y a cette ville miniature, construite minutieusement par l'un des deux milliardaires. Un monde dans le monde, la création d'un homme qui se prend pour Dieu; il y a ce contrat "infernal" qui m'a fait pensé au mythe de Sisyphe; il y a ce face à face dérangeant entre Jim et le fils du gardien; il y a le jazz, présent comme un leitmotiv; il a cette fin, cruelle et brutale...

Mais ce qui m'a le plus interpellée c'est le parallèle que Paul Auster propose dans ce récit : 3 destins qui auraient pu être semblables et que tout opposera.
Jim, Jack et leur deux partenaires de poker, ont tous reçu, à un moment donné de leur parcours, une somme somme d'argent conséquente. Un héritage pour Jim; une donation pour Jack et un billet de loterie gagnant pour nos deux excentriques. Pourtant, chacun en fera un usage très différent.
En dehors de l'intrigue proprement dite, Paul Auster nous propose donc une réflexion sur nos choix de vie et les conséquences qui en découlent.

C'est une roman étrange, qui colle à la peau longtemps après l'avoir refermé.

Voir aussi les avis de Marc, Virginie et Essel

Du même auteur : La nuit de l'oracle, Brooklyn Follies, Dans le scriptorium

Extrait :

À l'origine, une simple question d'ordre dans la succession des événements. S'il n'avait pas fallu six mois au notaire pour le trouver, il n'aurait pas été sur les routes le jour de sa rencontre avec Jack Pozzi et, par conséquent, rien de ce qui suivit cette rencontre n'aurait eu lieu. Nashe trouvait désagréable d'envisager les événements sous cet angle, mais le fait demeurait que son père était mort un bon mois avant le départ de Thérèse, et que s'il avait soupçonné l'existence de l'argent dont il était sur le point d"hériter, il aurait sans doute réussi à la persuader de ne pas le quitter. Et même si elle n'était pas restée, il n'aurait pas eu besoin de confier Juliette à sa soeur, dans le Minesota, et à elle seule la présence de sa fille l'aurait empêché d'agir comme il l'avait fait. Mais il appartenait toujours au corps des pompiers, à cette époque, et comment aurait-on voulu qu'il assume la responsabilité d'une enfant de deux ans alors que sa profession l'obligeait à s'absenter de chez lui à toute heure du jour et de la nuit? Avec de l'argent, il aurait pu engager une femme qui aurait vécu avec eux et se serait occupée de Juliette, mais d'abord, avec de l'argent, ils n'auraient pas habité la moitié inférieure d'une maison minable à Sommerville, et Thérèse ne serait peut-être jamais partie. [...] Et puis soudain, ce notaire l'avait découvert, l'argent lui était tombé du ciel entre les mains. Il s'agissait d'une somme énorme - près de deux cent mille dollars, un montant presque inimaginable pour Nashe - mais il était déjà trop tard. Trop de choses s'étaient déclenchées au cours des cinq derniers mois, et même la fortune ne pouvait plus les arrêter.

couverture
Éditions Le Livre de Poche - 224 pages