Albertine à 30 ans a été envoyé une semaine en repos à la campagne où elle rejoint sa sœur Madeleine. Albertine à 40 ans, sur le balcon de son appartement de la rue Fabre, attend sa fille Thérèse qui ce soir encore semble avoir fait des folies. Albertine à 50 ans travaille au resto du Parc Lafontaine et elle semble enfin soulagée de sa colère et de ses douleurs. Albertine à 60 ans est assise sur son lit et, à peine lucide, se contente de prendre des médicaments. Albertine à 70 ans découvre son nouveau chez-elle, sa chambre dans une maison de vieux, et elle se rappelle. Partageant simultanément la scène avec Madeleine, la sœur, la confidente, mais la rivale aussi, les 5 Albertine se racontent.

Il s’agit probablement d’une de mes pièces préférées de Tremblay. En la relisant, j’ai retrouvé l’émotion, mais j’ai découvert plus précisément qu’avant la beauté de la langue, ciselée et imagée.

Une pièce difficile et éprouvante qui en filigrane parle à la fois de condition féminine et de disparités sociales. Qui parle surtout de la difficulté d’être heureux quand la lucidité nous empêche de nous mentir quant à notre sort. Qui dit comment la pauvreté peut engendrer du mépris qui se transporte à travers les générations d’une même famille.

Par Catherine

Du même auteur :Hotel Bristol New-York N.Y. , Thérèse et Pierrette à l'école des Saints-Anges, Les belles-sœurs, Encore une fois si vous permettez, Hosanna, Le vrai monde?, La grosse femme d'à côté est enceinte, Le cœur découvert, La traversée du continent, Douze coup de théâtre, Un ange cornu avec des ailes de tôle et Pièce à conviction (entretien avec Michel Tremblay)

Extrait :

ALBERTINE À 60 ANS. C’est le renfermé que ça doit sentir. Mais j’ose pas ouvrir le châssis… J’ai trop peur d’attraper mon coup de mort… J’me sus enfermée dans la maison où chus venue au monde… même pas… dans une chambre de c’te maison-là… pour me protéger des senteurs du dehors. Y’a pus rien qui peut me toucher, j’ai perdu l’odorat.

ALBERTINE À 70 ANS. Ça sent la mort au compte-gouttes ! J’ai-tu passé à travers tant d’affaires juste pour en arriver là ?

Les autres la regardent.

Elle se mouche avec un kleenex.

Ça va aller mieux demain.

ALBERTINE À 60 ANS. Tu penses ?

ALBERTINE À 70 ANS. Oui, j’le pense !

[…]

ALBERTINE À 60 ANS. J’ai pus aucun souvenir, d’aucune senteur. Même pas celle des sapins qui m’avait tant étourdie quand j’étais arrivée à duhamel. Toute ma vie, après, quand on parlait de senteur, j’me revoyais, debout sur la galerie, en train de me remplir les poumons de santé ! Aujourd’hui… (Elle regarde Madeleine.)… même si t’essayais de me décrire c’te senteur-là pendant des heures, j’m’en rappellerais pas.

couverture
Éditions Léméac - 102 pages